C'est rien de le dire mais Philippe Jaenada décortique l'affaire Pauline Dubuisson qui a défrayé la chronique dans les années 50 - au point de servir de matrice à la Vérité de Clouzot en 1960. C'est en fait une vraie rencontre entre un auteur obsessionnel et minutieux et une accusée livrée en pâture à une opinion publique chauffée à blanc. Jaenada a compulsé tout le dossier : des dépositions, compte-rendus de police, au déroulement du procès montrant à quel point police, presse et justice ont donné une vérité biaisée sur Pauline - quitte à modifier ou falsifier des témoignages.
Mais il a aussi enquêté en amont sur toute la vie de cette "petite femelle" qui a subi une éducation à la dure avant de vivre les horreurs de la guerre, de l'Occupation et la Libération (où comme beaucoup d'autres femmes ayant fricoté avec les Allemands, elle a été victime expiatoire à la mauvaise conscience et la bétise crasse des faibles). L'auteur lui emboite le pas, la suit à la trace, jette une passerelle entre elle et lui dans un livre qui, au-delà d'un destin personnel, témoigne d'une époque où la presse à sensation tient le public en haleine par n'importe quel moyen et où la condamnation d'une personne dépend de la virtuosité de son accusateur. Entre les lignes complexes et riches en précision et digression, Jaenada échafaude une théorie majeure. Si Pauline a subi une telle violence, c'est avant tout qu'en avance sur son époque par sa soif d"émancipation, de liberté et d'égalité entre les sexes, elle a été sacrifiée sur l'autel d'une société profondément patriarcale et misogyne. D'avoir tué, passe encore ; de vouloir être libre - y compris dans sa sexualité, in-ex-cu-sa-ble !


Tout en étant humble (ce qui n'est pas certain, est précisé comme tel), Jaenada a effectué un travail de titan d'où ressort néanmoins une grande sensibilité (la sienne, celle de Pauline) qui font que plus de 50 ans après la mort de cette "petite femelle", on éprouve encore de la colère face à une telle injustice et de la compassion face à cette grande héroïne tragique. Dernière touche personnelle, l'ironie qui parcourt tout le livre.

denizor
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le 30 déc. 2016

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