Il y a certains auteurs que l'on DEVRAIT avoir lu tant leurs oeuvres ont façonné le cinéma ou notre vision de la science-fiction. Ou sans aller jusque là, qui ont cette maîtrise de la mise en scène qui vous en bouche un coin.
Il y a bien sur un terrain déjà bien préparé par les classiques du cinéma, car La planète des singes à vu, comme Dracula ou Frankenstein, de nombreuses adaptations télévisuelles ou cinématographiques plus ou moins bien réussies. Mais le LIVRE, dans tous les cas, se place nettement un cran au dessus. Et la Planète des Singes est de ceux-là.
Pierre Boulle m'a donné une grande baffe littéraire en me donnant un scénario aux petits oignons, où jusqu'à la fin, on en a pour son twist. Même si vous avez vu les films. Même si vous avez vu vos classiques.

Il m'a surtout impressionné par sa capacité d'anticipation, en replaçant dans le contexte notre vision de l'évolution humaine. Une humanité qui dépéri par son incapacité à rester vive et dynamique, qui perd la notion du sens commun parce qu'elle stagne, qu'elle s'éparpille dans des futilités. Ce qui n'est pas sans me rappeler Blade Runner de Philipp K. Dick, l'analogie avec les androïdes est la même. Mais en moins synthétique.
La scène de la Bourse est à mon sens la plus criante de vérité, tant on peut en voir les similitudes avec notre quotidien. Une agitation furieuse, auto-entretenue, vivant en parfaite autarcie, pour une spéculation totalement virtuelle. Cette agitation est purement inutile et en pur décalage avec nos besoins primaires. Et c'est là que ça fait mouche.

Pierre Boulle décrit un miroir sans fin de l'évolution grâce à l'imitation, avec son plus grand représentant, le Singe.
Grâce à l'évolution avec l'apprentissage du langage et en imitant nos codes les plus refoulés, ils nous ont remplacés. Puis un humain va réapprendre l'humanité à ses contemporains et devenir une menace... Et bis repetita.
Et qu'est-ce qu'il y a de plus contemporain que ça au final ?
Qui n'a pas eu cette impression de pitié en remarquant qu'un de ses collègue qui veut de l'avancement copie son patron jusqu'à refouler complètement son identité ? Du style vestimentaire en passant par son style de voiture, ou ses inflexion de voix ? Et le pire, c'est que ce genre d'individu totalement malléable va arriver à ses fins, parce qu'il s'adapte en s'effaçant. Et moi ça me fout les boules. Parce qu'en y réfléchissant, c'est ceux que j'ai toujours considérés comme des couilles de loup qui on en fait le mieux compris le moyen de devenir indispensable. Ce sont eux qui vont le mieux s'insérer, parce qu'ils ne représentent aucune menace, qu'ils sont inexistants. Ils ne sont pas plus forts, plus intelligents ou plus beaux : ils sont neutres, ils plaisent au dominant parce qu'ils leur ressemble. Ils imitent, n'innovent jamais. Mon Dieux, être original, quelle horreur.

Par ailleurs qui n'a pas déjà noté que dans certains milieux, les codes vestimentaires et comportementaux sont impératifs à l'intégration ? De la banlieue aux milieux bourgeois, du jogging casquette au petit blazer smart, chemise à rayure avec petit mocassins et pull sur les épaules... Nous sommes bourrés de codes qui nous intègrent dans une machine à broyer l'intelligence, l'innovation, mais aussi la personnalité, au profit d'un rôle joué en société. Et l'incapacité d'évolution de la société Simienne en est le parfait exemple. 10,000 ans de pédalage sur place. C'est fort. Mais quand on voit l'actualité, ça fait sourire. Nous avons en France un système politique qui bloque toute évolution majeure : la navette parlementaire. Une loi est proposée par un député, corrigée par l'assemblée, dénaturée par le Sénat, renvoyée devant l'assemblée... Et les autres exemples sont nombreux. Il n'y a qu'à voir avec quel courage on s'attaque au cumul des mandats ou à la modification de la réserve parlementaire pour se faire une idée de notre capacité à imiter notre prochain...

Donc encore une fois, c'est un des auteurs de science-fiction du vingtième siècle qui m'a le plus interpellé, remis en question. Plus qu'un livre, c'est un appel à l'intelligence, un hymne à la personnalité qui vous raisonne dans les tripes. Ce qui est sur, c'est que je ne regarderai plus jamais un groupe de personne de la même manière. Et puis être comparé à un chimpanzé, ça me fout les boules.
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le 22 sept. 2013

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amjj88

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