Mlle de Chartres débarque.
Elle arrive dans cette cour d'Henri II, remplie d'une centaine de personnalités que Mme de Lafayette nous présente dans les vingt premières pages.
Il faut retenir les noms, les liens, les amants et les maîtresses, le vicomte ceci, la duchesse cela, le titre et les noblesses, les charges. Quel dur travail pour la jeune demoiselle à la longue chevelure blonde qu'est Mlle de Chartres !
Mais que faire, dans cette Cour où l'on critique, où l'on parle astronomie chez la Reine mère, où l'on danse ? Il faut aimer, se faire aimer, prouver sa "reconnaissance" et éviter, tel que l'indiquait la Carte du Tendre de La Clélie, le Lac d'Indifférence. Dès lors, la jeune Chartres va épouser ce cher M. de Clèves, un être assez moyen tout en étant attachant. Mais, ce n'est pas ça la vraie histoire ! Vite, vite, qu'apparaisse le duc de Nemours !
Et oui. L'homme. Le mâle. Ce cher Jacques de Nemours, décrit de façon si hyperbolique par Mme de Lafayette, en a fait tourner, des têtes : qu'il s'agisse de la cour décrite fictivement ou des lectrices de ces 5 siècles qui nous séparent de ce récit. Nemours est beau, grand, charmant, intéressant, mais n'est pas coureur de jupons : loin de l'idée de Mme de Lafayette de montrer un vilain ! Il est l'homme parfait, elle est si belle et si enchanteresse : ils s'aiment, évidemment. Mais (retour quelques lignes plus haut), elle est mariée ! Dès lors commence une série d'aventures amoureuses, de je t'aime moi non plus, de portraits dérobés et de lettres perdues, sur fond de scandales de Cour et d'intrigues de courtisanes.
J'ai lu La Princesse de Montpensier, autre roman de Mme de Lafayette écrit 15 ans plus tôt que La Princesse de Clèves, pour le bac de littérature. J'avais bien aimé, mais j'avais trouvé ce récit, cette ébauche de roman, appelée également nouvelle historique, quelque peu plat et qui mettait du temps à démarrer. J'ai préféré La Princesse de Clèves, roman bien plus connu car considéré comme le premier roman de l'histoire littéraire française : plus détaillé, contenant plus d'intrigues amoureuses, avec des personnages de renom, et une réputation, tout simplement. J'aime son style précieux, des litotes dégoulinantes de bien-pensance, des hyperboles bien trop présentes pour que l'on croie au réalisme et des euphémismes à tire-larigot.
Ce roman est à la fois facile à lire, tout en adoptant un style réellement novateur pour l'époque, et culte dans son genre. Il est précieux et met en exergue, pour la première fois, une vraie psychologie des personnages, qui sera reprise deux siècles plus tard dans des grands romans aux grands personnages. La psychologie de Mme de Clèves est typique de celle des femmes de l'époque, et est à rapprocher, dans le cadre du baccalauréat, de celle de la Princesse de Montpensier : elle est déchirée entre vertu et sentiments, entre la passion qu'elle éprouve pour Nemours et le carcan social de son mariage - forcé - avec M. de Clèves, tourmentée par la guerre sous son toit, par cette dualité entre morale et passion dans son propre coeur.
J'ai vibré lors de l'échange final entre Nemours et la Princesse, j'ai enquêté lors de la recherche de l'appartenance de la lettre, j'ai été intriguée par les portraits de Mme de Tournon et d'autres illustres de la Cour : pendant trois heures, je me suis sentie intégrée à cette Cour hypocrite et superficielle, à cette Cour qui profite de la mort d'un Roi pour s'octroyer de nouvelles charges, cette Cour où tous s'aiment et se détestent au rythme d'un changement de tenues, où tout va plus vite qu'un combat de joutes, où tous les coeurs battent à l'unisson en regardant deux beautés comme Nemours et la Princesse, comme mon coeur a frissonné en comprenant qu'elle allait se retirer, que son amour avec Nemours ne serait qu'un rêve non réalisé, qu'un concept vaporeux bon pour la Carte du Tendre.