Aujourd'hui, maman est morte.


Comme ça, sans prévenir, sans rien. C'est pas tant que ce soit choquant, après tout, on sait qu'on est tous amenés à passer sous la lame de la faucheuse un jour à l'autre, mais pour certains ça nous surprend plus que d'autres. On se dit qu'ils sont au-dessus, qu'ils y échapperont, les exceptionnels ou les trop proches de nous, on pense que la foudre frappera toujours juste à côté, sur le voisin qu'est pas un mauvais bougre mais qu'est quand même moins sublime.
On se dit que c'est trop tôt, que c'est trop con. Qu'il y avait tant à faire, tant à dire. C'est vrai quoi, on n'ose jamais tout dire, nous les ingrats. Par pudeur, par fierté, parce qu'on pense qu'au fond, pas besoin de le dire.


Et puis, le malheur à peine effacé de notre regard, on se penche sur des souvenirs, des histoires qui pourraient remplir un bouquin. Un bouquin qui relaterait toute la vie d'un écrivain, et qui finalement ne ferait que rendre hommage à une mère aimante, dévouée, presque hystérique pour son fils.


Une suite d'anecdotes, de faits de vie, de tout ce qui, petit à petit, façonne un être. De tout ce qui le transforme d'une pile d'organes en désordre à un homme, entre une jeunesse étalée de Varsovie à Nice et une guerre entre types trop bêtes pour ne pas y briller.
Dans chaque épisode jaillit l'orgueil de la mère, persuadée du destin fantastique promis à son rejeton, écrivain, peintre, danseur, colonel et que sais-je. Une voie, un destin, l'attend. Promis. Lui, pauvre type dévolu à l'exubérance de sa mère, ne peut que tenter de la contenter, de la rendre fière.


Sa vie, ses choix, ses oeuvres, tout en lui se tourne vers le soleil qui a abreuvé les premiers jours de son existence d'un amour exubérant, irrationnel, celui d'une mère pour son fils. Cet amour inégalable et inégalé, impossible à retrouver par la suite, promesse jamais tenue. Cet amour que les femmes, inconscientes et impuissantes, ne sauront jamais reproduire, cette soif d'affection que les conquêtes ne pourront combler.


Puis la Guerre. Théâtre absurde où les imbéciles ont plus de chances de briller que les autres et où lui, avec son barda, mu par le désir de gloire, s'engage avec joie. Et même si loin, même perdu au fond d'un lit d'hôpital accablé par la typhoïde, la voix de sa mère lui parvient au travers de lettres.
Pour elle, il brave la maladie, pour elle, il est dans la Résistance, pour elle, il participe à la libération.


Pour elle, il revient à Nice.
Maman est morte.
Depuis longtemps. A croire qu'elle écrivait de là-haut, d'un coin où elle continue d'avoir un oeil sur lui et de crier à tous les types autour de regarder, que c'est son fils, et qu'il a un destin formidable.
Elle peut être fière de lui. Il a vécu.

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le 14 juin 2016

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