Le début du 20ème siècle est marqué par le développement de nouveaux moyens de transport. Automobile, aéronautique et transport ferroviaire connaissent un essor prodigieux directement issu de la révolution industrielle.
Les puissantes nations européennes comme la Grande Bretagne, sont en quête de possessions territoriales nouvelles et de voies d'accès vers la Chine, objet de convoitise…
L'Empire Russe, quant à lui, sait qu'il dispose de richesses minières inexploitées en Sibérie et plus généralement dans l'Est du pays encore inaccessible.
Le tsar Alexandre III fait donc réaliser des travaux d'études et proclame en 1891, le lancement officiel de la construction du Transsibérien, une ligne de chemin de fer qui s'étendra de l'Oural au Pacifique avec le soutien financier d'un emprunt d'état international.
Achevé en 1916, le Transsibérien parcourt 9280 kms tout en traversant plus de 990 gares pour relier Moscou à Vladivostok en moins de dix jours.
Un citoyen suisse, Frédéric Louis Sauser (1887/1961) alors en apprentissage chez un horloger de St Pétersbourg, est totalement fasciné par ce trajet mythique. En passe de changer de vie pour devenir écrivain, il a délibérément choisi 2 ans auparavant, de se placer sous le signe du Phénix qui renait de ses cendres, en adoptant le pseudonyme de Blaise Cendrars.
En 1913, il rédige un texte en forme de voyage poétique qu'il intitule "la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France" dont les 446 vers libres déroulent leur métrique aléatoire au rythme saccadé du train tandis que l'ensemble du poème est truffé de références personnelles.
C'est une véritable épopée qui navigue sans cesse entre rêve et réalité, un texte dont la musicalité remarquable justifie le préambule de l'auteur: "Œuvre dédiée aux musiciens"
Le feu qui couve à Moscou et le froid sibérien symbolisent les 2 pôles de sa personnalité complexe. La violence engendrée par les troubles politiques et sociaux qui agitent l'empire russe, fait écho à son agressivité intérieure. Il se plait à choquer en opposant la douceur apparente des paysages à la fureur des combats, oscillant parfois du sublime au sordide.
Il se laisse emporter par ces visions violentes qui tout à la fois, empoisonnent sa vie et nourrissent son inspiration alors que des plages de douceur lui permettent de se ressourcer.
Ce voyage introspectif lui permet de saisir la réalité de la vie dans sa diversité.
Il prend conscience que seul le poète peut réunir et assembler tous les éléments dispersés du puzzle pour bâtir un univers cohérent où réalité et fantasme, peuvent se côtoyer sans se détruire.
Poursuivre le voyage devient donc inutile…Cendrars désormais apaisé, rentre à Paris et n’oublie pas de rendre hommage à Jeanne la petite prostituée (qu’il transforme parfois en Jehanne, de plus noble lignage) sa compagne de voyage, à la fois victime, complice et témoin de son évolution personnelle.
Peut-être même symbolise-t-elle par un jeu de miroirs complexe, une autre facette de lui-même… « On n’écrit que soi »…« je suis l’autre » (Moravagine 1926).
Le voyage a achevé la métamorphose de l’adolescent en homme, capable d’appréhender le monde dans ses contradictions et d’exprimer ses émotions sous la plume du poète.
Ce long poème fait partie d’un ensemble intitulé « Du monde entier » et ce n’est sûrement pas le fruit du hasard…
Primavera
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le 21 déc. 2013

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