La Route
7.5
La Route

livre de Cormac McCarthy (2006)


Si vous êtes dépressif ou suicidaire, merci de passer votre chemin et de ne pas lire les pages de ce livre. Je décline toute responsabilité si vous passez outre mon conseil.

Le synopsis est très court et peu se résumer en un « road movie » sur fond d'apocalypse. Un père et son fils vont simplement essayer de survivre et descendre plus vers le sud dans l'espoir de trouver un meilleur endroit.

Une quête du paradis perdu en quelque sorte.

Dès les premières pages, la puissance du roman vous saisit. Sa froideur, son austérité, son dépouillement prennent aux tripes.
Très rapidement, on se rend compte qu'on est bien en présence d'un roman sombre où toute lueur d'espoir semble utopique. Le lecteur se rend compte que la lecture ne sera pas de toute gaieté et la fin sera incertaine. On doute sacrément sur une fin en happy end.

Cormac McCarthy fait preuve d'un extraordinaire talent pour rendre l'atmosphère glauque, presque monochrome, étouffante et sinistre.

Son style brut et incisif donne le ton et c'est bien ses mots qui donnent toute l'ambiance. Ses paragraphes sont très courts, vont à l'essentiel et sont frappant par leur aspect dépouillé et brut de décoffrage.
Pourtant il y a quand même une certaine prose poétique.

Mais son style est très caractéristique et déstabilisant pour le lecteur. Une de ses marques de fabrique consiste a beaucoup utiliser le « et », y compris dans de longue énumération. Cette technique donne vraiment l'impression que tout est très rare et précieux. La moindre couverture, le moindre vêtement, la moindre nourriture, tout semble tellement rare.

Il utilise également beaucoup de phrases sans verbe. Il a une certaine faculté pour aller droit au but, tout en disant ou plutôt en suggérant beaucoup de chose. C'est une écriture abrupte mais puissante.

Avec la forme, il donne une incroyable consistance au fond.

Autres points déstabilisant, c'est le manque d'informations pour le lecteur. Cormac McCarthy ne place pas son roman dans un cadre spatio-temporel. On ne sait rien de l'époque, ni du lieu. Bien évidement, on suppose que c'est dans un futur assez proche et plutôt sur le continent Nord-Américain (mais ce n'est qu'une supposition).

De même, on ne sait absolument rien de cette catastrophe. Elle n'est jamais expliquée et on a juste brièvement quelques idées sur les différentes étapes ayant menées à cette situation.
On connait la situation actuelle, c'est tout, le reste n'a que peu d'importance.

On manque cruellement d'informations sur les personnages. Le père et le fils n'ont pas de nom. Jamais au cours du roman, l'auteur nous donne leur prénom ou un surnom. On ne sait quasiment rien sur leur passé. L'homme que faisait-il avant?

La seule chose que le romancier daigne nous communiquer c'est sur le fait qu'il y avait la femme de l'homme et donc la mère du fils avec eux auparavant. Au travers de flashbacks plutôt poignants, on en apprendra plus sur elle, et pourquoi elle n'est pluss avec eux.

Ce manque de background, voulu, est déstabilisant. Mais la volonté est de simplement se concentrer sur la survie des deux personnages et rien d'autres.

Le scénario est assez lent. Il ne se passe pas de grands évènements, mais que des petits mais pourtant cruciaux. Le livre est ponctué de petits passages tantôt oppressant, tantôt triste, tantôt plus simples, mais jamais inintéressants. Même les passages où ils recherchent un endroit pour dormir, ou quand ils visitent des maisons sont intéressants. On en vient presque à penser qu'on survit avec eux. On ressent quasiment leur faim et le froid qui les étreint.

Tout au long du roman, la menace de tomber sur d'autres hommes est présent. On sait que beaucoup sont devenus cannibales. Donc toutes les rencontres seront très tendues, et on se demande ce qu'il va leur arriver.

La relation entre le père et le fils est poignante. Au-delà de l'aspect purement survie, c'est cette relation pudique entre eux qui est émouvante. Malgré ce monde froid, cendreux, poisseux et sombre, le père fait tout pour inculquer de nombreuses choses à son fils : survivre mais aussi garder le « feu ». Il essait de le préserver de ce monde et de lui faire garder son innocence et des valeurs morales. Il y a clairement une dimension biblique, le petit représentant le bien, les hommes le mal.

C'est touchant! Il y a vraiment des passages forts comme lorsque le père se demande s'il sera capable d'appuyer sur la gâchette s'ils se font prendre par des cannibales.

Pourtant, leur relation est très simple, ils n'ont jamais de grandes discussions, ne se confient que très peu, pourtant on ressent leur amour respectif et le besoin de l'autre.

Le seul défaut qu'on puisse reprocher à ce titre, mais qui n'a pas été le cas, pour moi, c'est peut être qu'on frôle parfois l'ennui. Pourquoi? Parce que le style d'écriture est vraiment très épuré, les dialogues ne sont pas très constructifs, et il y a peu de véritables échanges. Il n'y a pas non plus une dimension épique. On suit juste un père et son fils survivre au jour le jour et essayer de rallier un point. Forcément l'action est un peu répétitive : chercher de la nourriture, trouver où dormir, fouiller les maisons... Du coup c'est très réaliste.

Son style et cette « banalité » de l'action pourront rebuter. Moi, je trouve ça superbe et ça crée un réalisme saisissant, qui m'ont scotché à la lecture. Mais clairement c'est particulier.

Pour conclure, je trouve qu'on n'est pas loin du chef-d'œuvre. C'est un roman au style littéraire particulier, à l'ambiance glauque, mais pourtant très juste, prenant et émotionnellement très fort. On va suivre, avec beaucoup de justesse un père et son fils survivre dans un monde horrible. On ressent leur souffrance, on sent leur envie de survivre malgré le manque d'espoir.

Pour à peine 250 pages, ce serait dommage de se priver de ce roman qui mérite son prix.
Kameyoko
7
Écrit par

Créée

le 8 déc. 2010

Critique lue 289 fois

Kameyoko

Écrit par

Critique lue 289 fois

D'autres avis sur La Route

La Route
DjeeVanCleef
10

Apocalypse ? No !

J'ai toujours pensé que ça allait mal finir. Depuis petit, en fait. Qu'il fallait que ça crame.  Rien à voir avec un feu divin ou un nuage dense de sauterelles sodomites. Non non, point de courroux...

le 29 mars 2014

110 j'aime

37

La Route
Spoof
9

Roadbook post-apo introspectif et é

Quand Cormac McCarthy, l'auteur de "No Country for Old Men", s'attaque au récit post-apocalyptique, il fait fi des clichés du genre et des conventions d'écriture. J'avoue ne pas être un amateur...

le 4 mars 2010

54 j'aime

4

La Route
Vincent-Ruozzi
8

Terre brûlée, c’est pour les vivants

La Route est une histoire qui repousse les frontières du genre post-apocalyptique. La puissance descriptive de Cormac McCarthy, l’auteur du livre, emporte le lecteur dans les tréfonds les plus...

le 30 juin 2017

36 j'aime

6

Du même critique

De bons présages
Kameyoko
7

Critique de De bons présages par Kameyoko

J'ai pas mal apprécié ce roman réunissant ces deux monstres sacrés de la littérature britannique. Le début est assez difficile puisque le style est quand même assez particulier, il faut un temps...

le 8 déc. 2010

8 j'aime

La Compagnie noire
Kameyoko
8

Critique de La Compagnie noire par Kameyoko

Il y a une chose très importante que je n'ai pas réussi à caser dans le résumé, c'est la narration. En effet, l'histoire de la Compagnie Noire nous est narrée par l'intermédiaire des annales de cette...

le 8 déc. 2010

7 j'aime

Malronce - Autre-Monde, tome 2
Kameyoko
4

Critique de Malronce - Autre-Monde, tome 2 par Kameyoko

Maxime Chattam a un style d'écriture simple, direct et facile à lire. Son style convient parfaitement à un public adolescent. La lecture est facile et rapide. Malronce fait environ 400 pages et vu la...

le 8 déc. 2010

7 j'aime