La Route
7.5
La Route

livre de Cormac McCarthy (2006)

« The Road » de Cormac McCarthy a remporté le prix Pulitzer 2007 dans la catégorie roman. On s'habitue facilement à la noirceur et à la syntaxe propre à cet auteur, alors qu'a-t-il bien pu réaliser ici pour mériter une telle récompense ? Il a certainement réveillé cette conscience qui se terre tout au fond de nous et que nous faisons taire alors qu'elle ne nous dit qu'une seule chose : l'humanité est précaire.

Bien plus loin que toutes les scènes de massacre qu'il sait si bien décrire, c'est une horreur persistante qui hante les pages de ce roman. Une horreur qui n'a pas de nom. Juste une esquisse de ce qui pourrait être la fin de l'humanité. L'homme n'est pas éternel, ses civilisations ne tiennent qu'à peu de choses. La barbarie est là, tapie en chacun de nous, prête à ressurgir et à nous faire oublier toute notre belle morale, prête à effacer cette barrière artificielle que nous avons bâtie avec le mythe du progrès.

Nous sommes dans un futur pas si éloigné qu'on peut l'imaginer. Lorsque les armes thermonucléaires mirent fin aux conflits entre les nations, il y eu des survivants. Ils restèrent quelques temps dans les villes. Tant qu'elles purent les nourrir et les protéger quelque peu. Et puis vint l'hiver nucléaire. Ils durent alors quitter les villes et se diriger vers un sud plus accueillant où ils pensaient trouver de la nourriture et reconstruire une vie ou ne serait-ce qu'un simulacre de ce qu'ils appelaient vie.

Alors, sur la route, nous suivons la charrette de l'homme et de son fils. Ils n'ont pas de nom. McCarthy dit l'homme et l'enfant dit papa. L'enfant ou le garçon est jeune, trop jeune pour tant d'horreur. C'est un gâchis extraordinaire que cette route bordée d'arbres morts et recouverte de cendres. S'en éloigner c'est cependant prendre le risque de se perdre et de mourir de froid. Ils sont deux, ne peuvent compter que l'un sur l'autre. Les autres sont souvent mauvais. La nourriture manque et les enfants sont un repas convenable pour les bandes qui survivent le long de la route.

Alors il faut parfois tuer pour se défendre. Il y a des scènes terribles où on voit par exemple le père expliquer à l'enfant comment il doit introduire le canon du pistolet dans sa bouche et ensuite appuyer sur la détente pour ne pas tomber vivant entre les mains des autres. Il y a l'enfant demandant sans cesse à son père s'ils vont mourir. L'homme l'assure de le protéger jusqu'au bout, mais il sait bien que tout cela est vain. Il sait que la route n'a qu'un seul terminus. Mais comment ne pas, jusqu'au bout de ses forces, protéger son enfant, préserver son espoir. L'enfant n'est pas dupe et souvent se montre plus avisé que son géniteur.

C'est une fable terrifiante sur la responsabilité des générations, sur la précarité de ce que nous appelons humanité. Cette humanité ne tient que par des fils bien ténus et peut basculer si facilement du côté de la barbarie la plus sombre. Alors cette route est un message, une vision d'un devenir que nous pouvons éviter si le terme d'humanité a encore un sens. Si les armes thermonucléaires n'ont pas raison de nous, alors ce sera une de nos maladies modernes ou le réchauffement climatique. L'homme n'est rien à l'échelle de la planète. Mais ses enfants, il n'a pas le droit de les sacrifier à ses mythes.

Toute l'horreur, toutes nos terreurs tues, tous nos silences se referment sur le lecteur et l'amène à regarder le monde tel que nous le connaissons et à nous demander comment le protéger pour les générations futures. Une prise de conscience efficace sous la plume d'un des grands écrivains américains actuels.
Bobkill
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le 19 déc. 2010

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Bobkill

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