...de grâce, que ceux qui en parlent soient ceux qui l'ont compris !


Les critiques précédentes lui reprochent :
1 - d'être volontairement abscons et pédant
2 - d'employer un style assertif rendant nombre de ses énoncés attaquables du point de vue logique
3 - d'avoir une structure déroutante
4 - de n'apporter que des idées déjà plus ou moins pensées par Marx et Lukacs
5 - de n'apporter que des idées qui sont tellement évidentes dans le monde d'aujourd'hui que finalement ce n'est pas original
6 - d'être cité par snobisme par des personnes visant la reconnaissance de leur capital culturel
7 - d'avoir été écrit par un sectaire ambitieux aux tendances mégalomanes
8 - d'entraîner un culte de la personnalité de Debord et des situs


Big up à Gdebordhouston, steka, LinusVanPelt et Moizi, qui ne semblent pas trop s'être trompés dans l'exégèse du bouquin
respect à Low energy idol, qui pourrait n'avoir rien compris mais quand même en parler avec une certaine pertinence stylistique (à moins que ça soit fait exprès nyarknyarknyark)
5 critiques donnant de l'espoir sur 12 (plus les quelques unes qui ont un avis mitigé, mêlant admiration pour les clartés et réticences pour d'autres aspects), c'est tout de même pas loin de la moyenne, ce qui montre bien que le livre n'est pas complètement dépassé (enfin certes, quand bien même les 12 critiques seraient négatives et erronnées, cela ne serait pas nécessairement une preuve du contraire).
Personnellement j'ai mis 8 non pas pour la qualité de l'écriture (qui ne mérite pas plus que 6 ou 7), ou pour l'originalité de la forme (pareil : 6-7) mais pour la solidité du message et l'importance qu'il y a à le diffuser.


Ce qui suit, plus qu'une critique de l'oeuvre (qui vise à rendre aux yeux des lecteurs la vie contemporaine au sein du capitalisme encore plus insupportable qu'elle ne l'est a priori, en produisant un cadre théorique faisant la synthèse des écrits d'extrême gauche depuis leur origine, c'est à dire le XIXème siècle - même si d'autres influences ont participé à l'oeuvre, elles sont moins centrales), est une réponse aux reproches résumés ci-dessus.
J'estime en effet avoir compris l'essentiel de l'oeuvre, moi, parce que j'ai CHERCHé à le faire (je vous invite à vous poser la question : une oeuvre qui se prétend philosophique doit elle, pour être juste, être comprise spontanément et immédiatement par tout le monde ? -cela, ne serait-ce pas plutôt le propre de l'art ? et, même, non pas de l'art dans son ensemble, mais de l'art en tant qu'il s'inscrit dans une culture de masse et/ou définie par un pouvoir politique inégalitaire ?).
On y va :



  1. Abscons ? avez vous lu le Capital (ouvrage prétendant lui aussi en son temps conscientiser les masses... à moins qu'il ne s'adressât qu'à une élite ayant l'ambition de conscientiser les masses) ?
    Ce n'est pas encore là un argument. L'argument est sociologique, ou socio-historique si vous préférez. Debord a produit un style difficile pour la même raison que Bourdieu. Pour exister dans le paysage intellectuel français en 1967, on ne pouvait pas être clair et concis. Tous les "monuments" de la réflexion philosophique qui étaient en débat à l'époque sont difficiles d'accès : Marx, Heidegger, Hegel pour ne citer qu'eux (car on commence aussi à s'intéresser aux kantiens et phénoménologues, voire à la philosophie des sciences allemande et anglosaxonne ainsi qu'à la sociologie et à la psychanalyse).
    Très paradoxal quand le destinataire est la masse, le prolétariat, mais il faut aussi se souvenir que celui-ci était à l'époque discipliné par un parti communiste inspiré par l'est, et qu'il ne fallait pas, pour l'atteindre, parler une langue trop simple : cela aurait sans doute permis d'être facilement discrédité par les tenants de la "science" socialiste - au contraire, un langage très complexe pouvait rêver de séduire ces derniers (et donc, par corollaire, la masse).
    Pédant ? même remarque : plus on étale sa science, plus on est pris au sérieux à l'époque (c'est toujours le cas, quoique moins) - mais on peut tout de même reconnaitre que certaines références ont moins bien vieilli que l'ensemble du propos... dans l'ensemble, avoir un avis sur tout peut être perçu comme suspect, signe d'un grand n'importe quoi intellectuellement malhonnête, mais il faut comprendre que c'est un effet secondaire presque inévitable d'un projet théorique qui vise, justement, à décrire et analyser le "tout" (cf. l'illustration de l'édition folio, et pour le dire autrement, on peut citer [211] "Dans le langage de la contradiction, la critique de la culture se présente unifiée : en tant qu’elle domine le tout de la culture — sa connaissance comme sa poésie —, et en tant qu’elle ne se sépare plus de la critique de la totalité sociale. C’est cette critique théorique unifiée qui va seule à la rencontre de la pratique sociale unifiée. ").
    J'admets qu'il est difficile de rentrer dans l'argument philosophique à proprement parler sans avoir auparavant lu Marx et Hegel. C'est regrettable, mais ce n'est pas une raison pour dire que l'oeuvre est mauvaise.

  2. Le but est de faire de la propagande, pas d'être un monument de pureté de démonstration logique (encore que, si on fait l'effort de relier toutes les assertions entre elles, on s'aperçoit qu'elles sont cohérentes - presque totalement : j'admets que de temps en temps il faut interpréter un peu... ce qui finalement peut être dit de tout ouvrage d'ambition philosophique, quoique souvent à des degrés bien moindres). D'ailleurs, la logique pure fait difficilement de la théorie politique. Lisez Wittgenstein. En outre, on ne philosophe pas le ventre vide et toute vélléité de renverser le capitalisme procède d'une prise de conscience de type "ventre vide", donc de la nécessité de dépasser le stade de la philosophie (ce que Marx dit mieux que moi à la fin des thèses conttre Feuerbach). Se complaire dans la pureté et l'objectivité, c'est un luxe bourgeois.
    Cela peut être perçu comme agaçant, certes, mais... c'est un peu le but. Soit tu lis pas et tu te contentes de ce que tu sais déjà, soit tu lis, ça t'énerve d'autant plus que tu y trouves du vrai, et après tu tâches de changer ta vie et celles des autres en conséquence.

  3. Voilà effectivement un reproche qu'il est difficile de contrer. Les chapitres existent, dieu merci, mais au sein de chaque chapitre, cela devient souvent éclaté : les paragraphes partent dans des sens parfois très divers, et si l'on n'a pas le temps de méditer sur chacun d'entre eux, on se lasse très rapidement.
    C'est donc assez maladroit, mais l'on ne peut, là encore, reprocher à l'oeuvre de tenter d'exemplifier dans sa structure même un objet (le spectacle) qui touche à "tout", qui s'étend lui-même dans toutes les directions de l'univers humain : les paragraphes se reflètent les uns les autres de manière non linéaire, dans un jeu de miroirs qui autorise une lecture "par petites touches" et/ou qui prendrait n'importe quel des 221 paragraphes pour point de départ. On peut cependant y voir une provocation consistant à ne pas adopter un style "admis" thèse-antithèse-synthèse ou "recension-discussion de la littérature précédente et notes de bas de page" (paradoxal car comme dit en 1., il y a quand même clairement dans l'oeuvre la volonté de se hisser à ce "niveau").

  4. Et alors, ces idées ne méritaient-elles pas d'être répétées ? D'ailleurs, lisez Marx et Lukacs et vous verrez que ce n'est pas mieux (certes le manifeste du parti communiste est plus grand public, mais il est théoriquement moins solide, et surtout, il appelle à faire confiance à un parti dont la crédibilité est périmée en 1967).

  5. Et alors, le but de la philosophie est-il d'être original ? vous confondez vérité (ou lutte des classes si le concept de "vérité" vous semble douteux) et originalité : tout ce qui est original n'est pas vrai, choisir l'originalité coûte que coûte, c'est un comportement de consommateur qui recherche du bien être (recherche illusoire car perpétuelle et nécessairement fausse dans les objets qu'elle propose - cf. La société du spectacle, ou encore Le Capital), pas celui d'un penseur qui cherche le destin de l'humanité.
    Au contraire, ce "manque d'originalité" montre la pertinence du propos : une bonne partie de ce que raconte Debord sur le spectacle n'était vrai qu'à un stade embryonnaire au moment de la parution du bouquin, alors que maintenant, ça s'est concrétisé (et cela ne semble pas tout à fait prêt de s'arrêter).

  6. Depuis quand un livre doit-il être tenu responsable de la connerie de ses lecteurs ? Si vraiment cet "argument" vous tient à coeur, j'espère que vous vous êtes lâchés sur les pages senscritique de la bible, de la torah, du coran, et sur tous les "classiques" de la littérature internationale, car oui, "SPOILER ALERT" : TOUS CES BOUQUINS SONT CITéS PAR DES GROS CONS QUI N'ONT RIEN COMPRIS.

  7. Là aussi je dois reconnaître que c'est un peu vrai. Ceci étant, combien d'écrivains brillants sont autre chose que des sectaires ambitieux aux tendances mégalomanes ? à chacun sa secte, car être créatif, vouloir faire ce qui n'a pas encore été fait, cela nous condamne immanquablement à ce type de mentalité (ou au fait d'être perçu comme tel par autrui).

  8. Cf. 6. Mais là, il faut aussi ajouter que les situs et Guy ont fait eux-mêmes beaucoup pour se discréditer et donc rendre ce culte infondé. Mais à leurs errements "praxéologiques" (comprendre : l'échec du point de vue humain) s'ajoute, et c'est à leur décharge, un certain appel à ne pas prendre leurs textes pour des paroles d'évangile : il me semblait que c'était explicitement le cas, mais comme je n'ai pas le temps de rééplucher le bouquin en détail, je vous quitte sur cette formulation implicite, qui appelle à détourner l'oeuvre [209] "Ce qui, dans la formulation théorique, se présente ouvertement comme détourné, en démentant toute autonomie durable de la sphère du théorique exprimé, en y faisant intervenir par cette violence l’action qui dérange et emporte tout ordre existant, rappelle que cette existence du théorique n’est rien en elle-même, et n’a à se connaître qu’avec l’action historique, et la correction historique qui est sa véritable fidélité. "

EarlyCuyler666
8
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le 3 juin 2019

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