Un perroquet, des abeilles et une fine-mouche

Dans la chaleur d’un été (début des années 40), un garçon est observé par un homme, assis chez lui, alors qu’il lisait The British Bee Journal. L’homme est âgé et répugne à bouger. Mais en habitué des détails révélateurs, il remarque notamment le « beau perroquet gris aux plumes de queue d’un rouge sauvage » perché familièrement sur l’épaule du garçon qui marche sur la ligne de chemin de fer. Toujours au chapitre 1 de ce roman d’énigme, le vieil homme note :


« Il était frappé aussi par leur silence apparent. Dans tout mariage d’un perroquet gris d’Afrique – une variété notoirement bavarde - et d’un enfant de neuf ou dix ans, il lui semblait vraisemblable que l’un des deux dût parler à un moment ou à un autre. Encore une anomalie. Quant à ce que celle-ci promettait, le vieil homme n’en avait pas la moindre idée – bien qu’il eut jadis bâti sa fortune et sa réputation grâce à une longue et brillante série d’extrapolations à partir d’improbables associations de faits. »


L’enfant s’appelle Linus Steinman, c’est un jeune juif aphasique et son perroquet (Bruno) débite des séries de chiffres (en allemand) sans signification apparente. Une vraie litanie agrémentée de quelques poèmes allemands. Linus a été placé par un certain Kalb chez Mrs. Panicker, épouse d’un pasteur et mère d’un bon à rien nommé Reggie. Les Panicker tiennent une sorte de pension de famille où Mr. Shane, le nouvel arrivant, va être assassiné d’un coup derrière la tête avec un objet contondant. Autre résident, Mr. Parkins. La police constate que Shane était armé.


L’enquête est menée par Bellows et Quint qui arrêtent le premier suspect venu, sur la foi d’indices bien maigres qui ne répondent à aucune question fondamentale. Quelle est l’arme du crime ? Quelles peuvent bien être les motivations de l’assassin ? De plus, Bruno a disparu et Linus est inconsolable.


Démunis, Bellows et Quint demandent à une vieille gloire de reprendre l’enquête. Il s’agit de celui qui observait Linus dès le premier chapitre, un homme qui ne sera jamais nommé, mais dont les méthodes et l’état d’esprit rappellent le prestigieux Sherlock Holmes ! Sans pour autant délaisser ses abeilles, il reconsidère les indices et fait honneur à sa réputation qui vient notamment d’une affaire où l’assassin avait utilisé les moustaches empoisonnées d’un chat pour parvenir à ses fins. Tout comme Sherlock Holmes, l’homme ridiculise la police, montre le rôle essentiel d’un animal exotique et travaille de façon inimitable.


En ce qui concerne Michael Chabon, ce n’est pas un débutant en littérature et cela se sent. Il est très à l’aise pour installer une ambiance mystérieuse à souhait en quelques pages, en distillant de nombreuses informations dans un style élégant et riche, lui permettant de conclure une intrigue complexe en 150 pages environ, agrémentant le tout de 5 illustrations pleine page en noir et blanc qui ajoutent au charme rétro du roman.


Comment conclure cette critique sinon en évoquant le titre choisi par l’auteur ? Bien sûr, il s’agit d’une sorte de défi, justifié par les origines juives de Chabon qui retourne à son avantage une expression de sinistre mémoire. De la mémoire il en a (comme son enquêteur), ainsi que du caractère. Il en faut pour oser ce titre qui claque comme une réponse intelligente à tous les aveuglements humains, parce que l’expression est cette fois l’illustration d’une création dont l’auteur peut être fier. Il n’en reste pas moins que ce roman est un (brillant) exercice de style, hommage réussi à l’univers de Sherlock Holmes qui ne peut qu’inciter à lire et relire Conan Doyle.

Electron
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le 21 août 2014

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