Attention, pas de suspense ici : dans une critique de roman à suspense le spoiler prospère. C'est même le roi du macadam. Malgré mes efforts flous, je livre quelques indices.
Comme beaucoup de ses congénères ce roman de Grangé n'a pas de style.
Ou plutôt si, il a un style à ne rebuter personne. Il a un style saveur journalistique. Lire un paragraphe de Grangé c'est lire un paragraphe d'un reportage de magazine d'information, conjugué au passé simple et à l'imparfait. Il y a forces détails techniques, très fouillés et bien documentés comme dans une enquête journalistique mais de style mémorable, identifiable, point. Ca coule, simple, facile à avaler. Mais ici Grangé glisse trop de couleuvres. Ici, on n'est pas dans le roman noir, on est dans la page noircie.
Reste donc l'intrigue et le rythme qui sont chargés de faire tourner les pages (nombreuses) de manière addictive. Le rythme y est. Parfois artificiel. Comme les interventions liées à une affaire de drogue complètement déconnectée du récit mais qui rajoute, sous prétexte de cerner le flic (capable de discerner à la milliseconde, il enfonce Superman !), des scènes d'action dont l'intrigue principale est dépourvue, hormis une escapade en Angleterre légèrement confuse (le British fog légendaire sûrement).
Les personnages sonnent creux. Le personnage coupable (notez mon effort pour ne pas révéler son sexe) est machiavélique mais aussi naïf. Pourtant après avoir éliminé toute une ribambelle de victimes avec des procédés tarabiscotés, ce personnage compte sur la bonne volonté (lui préparer son cercueil et écrire une lettre de motivation : "merci de vous tuer et de fermer le couvercle en partant") de sa dernière "victime". Totale contradiction avec tout la précédente sophistication voulue par Grangé. Vu les caractéristiques des deux personnages et ce qu'en décrit Grangé, une entreprise de séduction perverse aurait été plus juste. Notamment cela aurait pu remplacer de nombreuses pages inutiles par la description d'une relation sombre et tourmenté et finalement destructrice.
Mais le style Grangé n'est pas celui d'Ellroy ou Goodis ou Chandler ou même Chalumeau. Il décrit des techniques. Dans ce roman, bondage et peinture. De manière professionnelle certes mais sans parvenir à transmettre l'atmosphère portée par les personnages impliqués (pervers.es génétiquement conçu.e.s, destiné.e.s à s'assembler et sombrer sauf si ...
l'enfant veille).
On ne sait d'ailleurs pas trop si Grangé retranscrit l'état d'esprit des personnages ou livre ses propres jugements dans certaines parties narratives.
Enfin l'intrigue. A mon avis elle ne tient pas la route. L'obsession du flic envers celui dont il veut prouver la culpabilité est, au mieux, bornée. Bon, admettons, pour un flic mais pour les autres ? Le premier dénouement final (lors du procès) est, comment dire, risible (si si j'ai ri à différents deus ex-machina. Un exemple : Grangé doit ignorer que le commun des lecteurs possède internet ou la 3G/4G. Ces technologies permettant de se renseigner sur le fameux triptyque rouge attribué à Goya dès le début du roman et donc d'imaginer quelques conséquences tôt dans ce roman alors que ce final nous révèle ce que nous avons deviné -ou savons déjà pour les férus de Goya. Un autre ? Comment a été retrouvé le margoulin dont l'accusé ignore le nom et qu'aucune police n'a pu retrouver. Un dernier ? les témoignages de la défense devraient avoir leurs implications judiciaires créant une boucle d'impossibilité. Je ne peux pas en dire plus sans supprimer l'intérêt, notamment le rebond de cette phase et ses explications). Au titre de cette rubrique des évènements et explications tombés du ciel, lisez bien l'explication de la réunion de la partie accusatrice lors de l'ajournement du procès ("impossible que...", "plein complot"). Franchement, je ne sais pas si un débutant aurait osé ce semblant d'explication complotiste.
Le deuxième final (du procès jusqu'à la fameuse lettre motivant le suicide) est grandement prévisible tellement les clairons ont sonné durant les pages précédentes.
Enfin la chute (si, si) finale (incitation au suicide dont j'ai déjà parlé) est digne d'un écrivain feignant ou à bout de souffle et pas très convaincu par son histoire.
Bref, ça ressemble plus à un pré-scénario pour un téléfilm à l'américaine pour canapé fatigué, bière éventée, pizza froide et oeil somnolent, qu'à un bon roman. Ca se lit comme un roman de gare alors que ça pitche, presque, comme un roman de gore.
Dans le premier cas, le roman remplit son rôle de passe-temps vite lu, vite oublié. Dans le second, on critique, on critique...
Suivant son humeur, recherche d'une détente facile bon public, esprit vagabond ou bien d'un roman sombre, tortueux, implacable, c'est pas mal ou pas bien. Entre 6 et 3, fonction de l'état d'esprit du moment.