C'est à la mission de sauver Harry Quebert que s'attèle Marcus Goldman, jeune écrivain : contre les évidences, contre son propre intérêt (à plus d'un titre), contre la volonté apparente de son mentor, ce « père en littérature » même qu'est pour lui l'auteur d'un immense succès. Et pourtant, en littérature comme en tout autre chose, ne faut-il savoir tuer le père ?
La vérité sur l'affaire Harry Quebert est un roman facile à lire, agréable aussi. Je ne partage pas tout à fait l'avis de ceux qui y voient un style trop « marketé » : bien sûr c'est un page turner, et peut-être même pas parmi les tous meilleurs (malgré ses nombreuses récompenses). Mais sa construction « embrassée » alternant les temps de la résolution de l'affaire elle-même, les temps auxquels elle remonte et des considérations intéressantes sur l'écriture et ce que c'est que d'être écrivain, ont exercé sur moi, un certain charme. Sans doute que d'un stricte point de vue polar on fait mieux. Que stylistiquement c'est perfectible. Mais je trouve l'exercice ambitieux et à bien des égards plutôt réussi.
Et puis, pour ceux qui s'ennuieraient tout de même en le lisant, pourquoi ne pas essayer de le faire résonner d'un point de vue psychanalytique : Ici, la proposition de Dicker est assez intéressante. Je n'ai jamais été séduit par cette théorie de la nécessité de tuer le père (qui m'arrange d'ailleurs de moins en moins, avec trois meurtriers en puissance sous mon toit). Elle est violente dans la forme comme dans le fond. Et même en admettant qu'on doive l'entendre uniquement symboliquement (ce qui n'élimine pas forcément la question de la violence ; les violences symboliques peuvent être aussi dévastatrices que les violences physiques), s'il faut tuer le père, quelle partie faut-il tuer sans risquer de tuer l'homme d'amour, de conseils, d'éducation, de soutien, de lutte (pour assurer la sécurité de son enfant) ? Et ne risque-t-on pas, à chercher à devenir un homme « contre », de jeter son père avec l'eau du bain paternel ?
Goethe aurait dit que l'« on est adulte quand on a pardonné à ses parents ». Finalement, comme le propose Joël Dicker dans ce roman, tout l'affaire du passage à l'autonomie n'est-elle pas, non pas de tuer le père, mais de le sauver ?