Est-ce que l'on doit peindre le diable sur les murs, pour être sûr d'être malheureux ?

Connu pour son succès en 2018 (Prix du roman Fnac, Prix Renaudot des lycéens), ce roman ne peut pas laisser indifférent. Il y a les pour, il y a les contre, le livre partage, mais une fois lu, il ne peut s'en aller de notre tête et longtemps on y repensera.


Le premier mot qui me vient est le mot glauque. L'ambiance austère du quartier de résidence de cette famille ne fait pas rêver mais au contraire donne froid dans le dos. Les habitants sont majoritairement cloitrés chez eux, les enfants qui ont la permission d'en sortir n'ont pour seuls loisirs, les champs de maïs, la casse, alors leurs préoccupations premières sont de se battre, de trouver un plus faible qu'eux pour qu'il devienne leur proie. D'ailleurs même le nom du quartier ne donne pas envie, le Démo remplacé par le Démoche, sans compter le bois des petits pendus qui le borde. Glaçant, non ?


Et dans ce petit monde sévère, il y a la famille soit disant privilégiée de la narratrice (dont on ne saura jamais le prénom), la famille qui possède 4 chambres au lieu de 3 pour les autres. Ce sont donc les nantis et les jalousies sont nombreuses. Mais ce que les autres ignorent c'est ce qui se passe à l'intérieur des murs, car en plus du glacial environnement, l'intérieur frise le zéro absolu. Un père violent, égoïste, sadique et une mère qui subit la tyrannie du chef de famille. Son autoprotection est de s'occuper à défaut de ses propres enfants, de ses animaux de compagnie, trouvant plus de réconfort en nourrissant coco, le perroquet, ou en caressant, ses chevreaux. complétement déconnectée du monde qui l'entoure, mais l'est-elle vraiment en réalité ? et ne fait-elle pas semblant, tellement démunie qu'elle, et c'est sa façon de survivre à l'indifférence qui l'entoure. Et d'ailleurs on s'en rend compte à la fin du roman, que cette femme que l'on croit décérébrée ne l'est pas autant que ça. C'est sans doute le personnage que j'ai préféré dans ce roman, même si sa propre fille la qualifie d'amibe. Aurais-je ressenti de la pitié ? Sans aucun doute. Rare. Oui, c'est pour cela que je souhaite le souligner.


Et puis, il y a ce petit frère, Gilles, l'enfant perdu dans une famille dissolue. Cet enfant qui n'existe qu'à travers les yeux de sa grande sœur, qui essaye de le protéger, de protéger son ignorance, mais la "vraie vie" ne le permet pas, et Adeline Dieudonné, décide de porter le coup de grâce à cette famille déjà profondément meurtrie. Il ne faut pas sortir de Quantico, pour savoir que ce jeune enfant va développer des habitudes qui le conduise droit vers un futur serial killer. Et au fur et à mesure de la lecture, on attend le dérapage inévitable et ses conséquences. L'auteure a su maintenir le suspense, la montée de l'angoisse pour ce garçon particulièrement attachant tout en étant psychopathe, quand on nous parle de circonstances atténuantes, je comprends mieux, même si ça n'excuse rien.


En revanche, ne compter pas sur moi pour ressentir une certaine empathie pour la narratrice, je l'ai trouvé particulièrement insupportable. Petit génie en herbe, j'ai trouvé que l'auteure a préféré l'idéaliser plutôt que de la rendre "VRAI" justement. Le décalage était beaucoup trop important pour moi, et je n'ai pas particulièrement apprécié ce personnage. Je l'ai trouvé particulièrement immorale pour une enfant douée une intelligence supérieure. Je l'ai pris en grippe, je sais. Dommage quand il s'agit du personnage central.


Mais je dois reconnaitre qu'on attend la fin avec impatience. Surtout que le rythme s'accélère au 2/3 du roman, et je n'ai pas réussi à le lâcher jusqu'au dénouement qui était inévitable, mais très bien amené.


Un roman, coup de poing, qui brise certains tabous qui ne devrait pas l'être. En écho au Grenelle des violences conjugales, ce roman est au cœur de l'actualité, à diffuser très largement, même s'il ne sera pas forcément apprécié


http://exulire.blogspot.com/2019/10/la-vraie-vie-adeline-dieudonne.html

exuline
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le 4 oct. 2019

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