En 2084, autour de Saturne, Cerclon I est une démocratie utopique où tout est calibré pour répondre aux moindres désirs de ses citoyens et mieux les gérer. Pourtant, un groupe d’anarchiste cherche à réveiller la population léthargique : la Volte.
La Zone du Dehors est un roman éminemment subversif.
Subversif car il montre que le totalitarisme peut se cacher aussi dans la démocratie. Pas une pseudo démocratie autocratique, mais un régime mou et impersonnel qui prend soin de ses citoyens pour peu qu’ils se conforment à l’ordre établi. Où la meilleure police secrète est la population elle-même, s’auto-censurant, prête à dénoncer tout écart à la norme.
Subversif car le personnage principal, Captp, est un révolutionnaire anarchiste qui, bien qu’intelligent et cultivé, choisit la voie de la violence plutôt que de l’unique dialogue, du "terrorisme aveugle" plutôt que de la résistance pacifique. Et qui le revendique.
Subversif car il dénonce le bien-être, du moins la culture du bien-être, en clamant haut et fort qu’elle ramollit les corps et les esprits. Au passage, il tacle son extension logique, le transhumanisme. Il fait l’apologie d’un rapport plus dur avec la nature, car c’est dans la difficulté que s’exprimerait notre humanité.
Le genre SF sied un peu moins bien à Damasio, car en s’ancrant dans la réalité, même dans une vision de science fiction, il se bride un peu. Le système qu’il décrit est intéressant mais le monde et le contexte sont plus quelconques. La Horde du Contrevent lui laissera vraiment l’opportunité de créer sans contrainte, d’obtenir cette liberté si chère à ses yeux.
Le principal problème vient de la nature un peu bâtarde du récit. Damasio nous raconte une histoire de SF, mais également et surtout un traité de philosophie saveur Nietzsche enrobé de Foucault. C’est pas un soucis en soi, après tout c’est dans la nature du genre que de parler de l’homme et ses sociétés, mais parfois cela prend un peu trop le pas sur l’histoire à mon goût. La fin est d’ailleurs bizarrement rythmée, peut-être précipitée, et m’a laissé de marbre.
La plume virtuose de Damasio est donc ici à double tranchant : elle est exaltante mais parfois un peu trop verbeuse, risquant de fatiguer le lecteur au cours de ses tirades métaphysiques, voire de le perdre. Cela dit, c’est un peu ironique au vu du message du livre !
Le livre fait réfléchir, bouscule, touche à mon avis plus juste que son illustre prédécesseur, 1984. Il appuie là où ça fait mal. On ne nous parle pas d’une dictature qui parait lointaine, mais bien de notre démocratie au trait à peine forcé, des normes de plus en plus nombreuses autour de nous, de notre confort de plus en plus prioritaire dans nos vies.
J’avoue que chez moi la lecture s’est accompagnée d’une remise en question.
Le Clastre, un système de notation déshumanisant permettant de hiérarchiser et manipuler les individus, n’existe certes pas. Mais son précurseur ?
Il se trouve au coeur de mon Apple Watch qui enregistre mes calories dépensées, compte mes pas et mes battements de coeur, me réduisant à une série de chiffres sur lesquels je m’extasie volontiers. Ou sur mon mur Facebook qui ne me montre que ce qui "pourrait m’intéresser", jusqu'à m’influencer et peut-être même me reconstruire. Ou encore sur Sens Critique, où mes notes décomposent mes goûts en moults statistiques pour m’expliquer ce que j’aime ou non, permettant même de me comparer à d’autres.
Bref, La Zone du Dehors est un immanquable pour qui n’a pas peur de la science fiction intello, des anarchistes forcenés jusqu’aux suppôts du système. Probablement l’une de mes lectures les plus importantes de ces dix dernières années.