Dans une ville désolée du Deep South des Etats Unis, en pleine prohibition, une géante toute puissante dirigeait d'une main de fer un débit de boisson clandestin. Miss Amelia, puisque tel était son nom faisait la pluie et le beau temps et tout le monde la craignait et la respectait, non sans évoquer les plus curieuses rumeurs qui couraient sur son compte.

Un soir, alors qu'il ne se passait strictement rien, et qu'on n'entendait que la chanson lointaine des noirs qui rentraient de la manufacture, apparut sur la route poussiéreuse un nain bossu. Souffreteux et esseulé, il s'est présenté comme le cousin éloigné de la géante. Celle ci, attendrie pour la première fois de sa vie, le prit sous son aile, et décida de consacrer le reste de son existence à s'occuper de lui.

Par amour pour le Bossu, qui s'ennuyait et se lamentait dans cette triste ville, elle créa le café. Et le café rassembla tous les esseulés du village dans une joyeuse ambiance qui tenait moins du bar que du cirque. Le nain était le centre de l'attention générale, et il semblait à chacun que sa bosse diminuait, qu'il marchait plus droit, qu'il toussait moins. Miss Amelia, quand à elle, transfigurée par l'amour, devenait plus douce, plus féminine, plus humaine.

Ils passèrent ainsi quelques douces années. A la fin d'un hiver particulièrement doux, les habitants tuèrent leurs cochons pour faire ripaille. C'est ce moment précis que choisit le Gangster pour revenir en ville. Marvin Macy, puisque tel était son nom, venait de sortir du pénitencier d'Etat où il avait passé les 10 dernières années pour le vol à main armée d'une station service et le meurtre du tenancier.

Le Gangster avait été éperdument amoureux de Miss Amelia, jusqu'à perdre la dernière once de dignité dont il était pourtant largement pourvu, ainsi que d'un physique spectaculaire qui faisait de lui le célibataire le plus prisé des jeunes filles soupirantes et le plus redouté des mères de famille. Il finit par demander la main de la Géante, qui l'accepta, sans que personne ne saches bien pourquoi. Le mariage avait tourné court au bout de 8 jours, l'épousée ayant jeté dehors l'épousé, non sans l'humilier et lui saisir tous ses biens.

A ce moment de l'intrigue, on comprend que le Gangster est revenu en ville pour faire payer à la Géante le prix du gâchis qu'était devenu sa vie.

Il fut récompensé, sans vraiment le faire exprès. La première fois que le Bossu vit le Gansgter, il tomba éperdument amoureux de lui. La Géante se vit donc infliger la pire des tortures : non seulement elle vit, impuissante, s'éloigner la personne pour laquelle elle était unique, mais en plus, elle était quittée pour son pire ennemi.

J'ai été autrefois Naine à deux bosses, aimée d'un côté et aimant de l'autre. J'étais alors trop souffreteuse pour choisir, je suis restée terrée au café, attendant que le destin décide pour moi. J'ai attendu longtemps, et puis un jour, j'ai eus assez de force pour ne choisir ni l'un, ni l'autre, mais mon propre foyer.

J'ai souvent peur d'être la Géante. Je dompte possessivité et jalousie pour en faire des chiennes familières, que je lâche contre moi même pour mieux les arrêter en plein vol avant qu'elles ne lacèrent.

Je n'ai jamais rêvé d'être un Gangster. J'ai néanmoins causé du mal dont je ne suis cependant pas plus responsable que les autres protagonistes, puisqu'il est encore plus facile d'être celle par qui le scandale arrive quand on vous donne le droit de vous défausser.

A 17 ans, j'ai vécu une sorte de prescience littéraire : "La ballade du café triste", de Carson Mc Cullers. Une relation triangulaire où personne n'est aimé de l'objet de son désir. Cette histoire, vous le devinez, finit forcément très mal.

Dans la vraie vie, bien entendu, la situation est légèrement différente.

Nous sommes heureusement des êtres pétris de compromissions.
LioDeBerjeucue
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le 20 déc. 2011

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