"Quand avait-il commencé à raccourcir les jours et les heures avec des peurs et des regrets ?"

J'ai commencé La Maison dans laquelle sceptique : comment un livre de 950 pages sur des ados handicapés peut-il captiver ? J'ai aussi été tout de suite refroidie par le style lourd et un poil enfantin de la traduction française. De plus, impossible pour moi de trouver quelque chose d'attachant dans le personnage de Fumeur.


Le problème est que le roman commence avec le point de vue de Fumeur. Heureusement nous sommes ramenés sept ans en arrière (l'histoire fait des allers-retours entre passé et présent) et la Maison commence à nous dévoiler son Histoire, à travers certains personnages, sans trop nous en révéler. En effet, plusieurs points resteront des énigmes jusqu'à la fin du roman. Les énigmes... ce sont elles qui rendent la Maison fascinante, qui la rendent vivante.


Les personnages sont la grande force de ce roman. Tous différents et intéressants. Ils révèlent une part de la Maison à travers leur caractère respectif.


Ils constituent en effet la Maison. On le voit notamment à la fin lorsqu'ils s'en vont tous et que peu après la Maison est détruite : ils sont les piliers de cette dernière. On peut aussi voir que la Maison est fissurée, comme si au fil des promotions et donc des départs de ses pensionnaires qui se succèdent, la Maison s'abimait : elle leur appartient totalement (comme ils le montrent à travers leurs graffitis). C'est d'ailleurs intéressant de voir à quel point certains élèves pensent avoir besoin de la Maison pour vivre alors que c'est aussi le contraire.


Le fait que la narration alterne le point de vue de plusieurs des personnages rythme, d'une part, l'histoire mais permet, d'autre part, de comprendre la Maison dans son ensemble.
Sphinx, Vautour, Roux, l'Aveugle, Lord, Fumeur, Rate, Rousse, Sirène, etc. apportent donc tous quelque chose de différent emprunt de folie. Et comme il est dit dans le roman :



Quand il n'y avait personne, notre repère paraissait plus petit [...] : chez nous, les habitants n'étaient pas seuls, chacun charriait tout un monde avec lui.



Ce qui est intéressant c'est justement leurs mondes qui ont en commun leur éloignement avec notre réalité.
La folie est une chose omniprésente dans la Maison. Elle se traduit à travers le meurtre mais aussi la joie, à travers des envolés lyriques et poétiques complètement absurdes, des moments déjantés, de la magie. Et puis à travers Chacal Tabaqui : adolescent barjot qui nous fait rire, qui nous touche et qui nous fait réfléchir. Personnage ambigu qui se cache derrière des mots et des phrases interminables, qui se démarque par son intelligence, qui ressort parce qu'il est au centre des moments les plus fous et qui partage avec nous les moments les plus jubilatoires du roman (cf. :



Dirlo, t'es foutu ! Les Crevards sont dans la rue !



). Il a en lui cette folie qu'on a tous plus ou moins en nous mais qu'on n'ose pas extérioriser. Ou qu'on aimerait avoir. C'est le fou qui se terre en nous et qu'on hésite à réveiller de peur d'être trop différent des autres ou de peur de véritablement tomber dans la folie. Une folie qui révèlerait notre fragilité face au monde. Il se fait passer pour un idiot, ainsi tout semble plus facile. Note : ce qui est assez incroyable c'est que, contrairement aux autres personnages (que j'imaginais presque tous avec un visage animal), je n'ai jamais réussi à visualiser son visage ; tout comme Fumeur le fait remarquer à la fin. Avec la maison, c'est un des personnages les plus énigmatique du livre. En effet, il semble tout droit sorti d'un rêve.


La magie est aussi un des éléments majeurs du roman ainsi que les rêves. Ces deux aspects sont d'ailleurs complètement liés et donnent une dimension psychédélique au roman. On se laisse transporter sans se poser de question, tout simplement. On pense s'engager dans un livre totalement réaliste (pour ma part en tout cas) et ce dernier nous surprend en nous plongeant dans un récit un peu plus fantastique à chaque page.


Et finalement, quel est le sens de tout cela ? Est-ce simplement la métaphore de l'adolescence ? Mais dans ce cas, pourquoi avoir créé la Maison ?


C'est comme si cette dernière n'existait pas et avait été créée de toute pièce par des ados ayant du mal à s'assumer. Comme le dit Fumeur, tout cela ressemble à une comédie mais dans laquelle les protagonistes auraient oublié que c'en est justement une... La Maison est une sorte d'échappatoire à leur handicap et à leur adolescence difficile. Avoir créé la Maison permet de mettre en valeur le fait que la vie n'est qu'une comédie dans laquelle nous jouons tous inconsciemment (ou non) un rôle.


La Maison dans laquelle nous montre l'adolescence à travers la jalousie des uns, l'affrontement des autres, l'amour, la joie, la tristesse et notamment la peur de devenir adulte. Devenir adulte c'est entrer dans un monde qui ne nous appartient plus et qui est régit par une force supérieure. Adolescent, c'est se penser libre dans un monde sans aucune limite, tout permis, intelligent au point d'avoir découvert tous les secrets de l'univers ainsi que maître du monde. Devenir adulte nous confronte à la réalité. C'est ce que ce roman semble vouloir nous montrer à travers ses personnages et leurs "rêves". Il montre la fragilité de ces êtres qui jouent sans cesse à la loi du plus fort.


Et finalement, La Maison dans laquelle nous amène à nous poser cette question : est-ce mieux de se prêter au jeu que nous impose la vie d'adulte (monde du travail, famille, enfants, mariage, etc.) ou de rester dans un monde créé par notre imagination, rassurant et qui semble réel (mais dans ce dernier cas c'est comme si on ne vivait pas vraiment, si tout est issu de notre imagination...) ?


Ce roman réussit à nous montrer un monde qui est le nôtre et paradoxalement un monde éloigné du nôtre car inaccessible à cause de ses mystères.


La Maison dans laquelle nous montre des choses que nous savons déjà mais dans un huis clos pesant par ses énigmes, sa violence, l'indifférence face à cette violence, sa haine et le point de vue de Tabaqui. Roman qui se révèle être captivant à travers ses mystères, ses personnages et le temps.
Pour finir, la fin est selon moi extrêmement intelligente notamment dans sa mise en forme qui est excellente.
Je retiendrai de ce livre les moments complètement fous et jouissifs, ses énigmes non élucidées, Chacal Tabaqui et ses phrases géniales comme :



Je savais que bientôt, au bout du couloir, le Lapin Blanc piafferait d'impatience et sautillerait vers le sabbat de Carroll



La Maison dans laquelle nous montre avec une justesse inquiétante la difficulté qu'il y a à être adolescent et l'angoisse qu'on éprouve en se rapprochant irrémédiablement du monde des adultes.

Matyyy
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le 4 juil. 2016

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Matyyy

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