Prenant le contre-pied de l'illustre ami -Piero-, je dirais que Schmitt fait oeuvre de philosophe plus que de juriste. En effet, il considère lui-même - contre un certain positivisme juridique ambiant à l'époque - que le politique précède le droit, qu'il faut un acte constitutif premier pour permettre le bon fonctionnement de celui-ci. Dès lors, sa réflexion ne peut que se porter sur un en-dehors du droit, et il réfléchit en terme de philosophie politique.


On comprend donc que Schmitt pense le politique sous le prisme de l'exception, exception qui explique la norme, exception qui permet à l'essence pure du politique de se manifester et donne son sens au juridique.
En penseur rigoureux, et réaliste, il affirme que le souverain se manifeste dans la situation a-normale la plus extrême, à savoir la guerre civile. Le raisonnement est brillant : c'est lorsque le consensus éclate, que le système de lois se dissout, que l'on peut voir à l'état pur le geste constitutif du droit. C'est celui qui met fin à la guerre civile, qui rétablit la paix, et fonde un nouvel ordre (on peut penser à Sylla revenant de la première guerre mithridatique) qui détient de fait le pouvoir.


En ce sens, le ralliement de Schmitt au nazisme ne me parait pas surprenant; il prône une philosophie de la puissance, et on sent dans ses écrits que la place pour le Völk est toute prête. Si la clarté attique de sa plume peut bien lui valoir le qualificatif d'"écrivain classique", Schmitt est à certains égards un héritier du romantisme, prompt à dénoncer le parlementarisme bavard et à le remplacer par une fusion des individus, empruntant autant à Hobbes qu'à un Novalis.


De plus, on peut déceler une certaine propension au totalitarisme dans ses écrits : en fondant le politique sur la distinction ami/ennemi, il rend toute association d'individus inévitablement politique et envahit le social. Dictée en partie par le refus d'une politique politicienne, d'un jeu entre certaines élites cyniques, l'intention est louable; elle n'en est pas moins, à mon sens, dangereuse.


La pensée de Schmitt, servie par un style et une construction admirables, possède une attraction indéniable, et permet d'affuter sa propre compréhension du monde.
Cependant, je lui opposerais Averroès et son interprétation du "droit naturel variable" chez Aristote, qui réfléchit également en terme de norme et d'exception mais en conclut en quelque sorte l'inverse. S'il n'y a pas de fondement invariable et universel du droit, l'exception, par son caractère toujours innovant, donne lieu à de l'imprévisible et les principes du droit dans ce moment là sont en effet non constitués. Mais, lors de la situation normale, il faut penser en termes normatifs, c'est à dire abstraits de la situation réelle.
En d'autres termes, l'exception ne doit pas déterminer la norme, car elle est précisément a-normale. Le système de lois (la norme) doit être penser en terme de "ce qui devrait être" et non de "ce qui est".


En conclusion, je dirais que Schmitt est plus utile à l'analyse historico-politique qu'à la pensée philosophique normative : il est bon de l'utiliser pour comprendre, non pour entreprendre, pour analyser et non pour agir.

Adrisengard
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le 24 juin 2016

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