Des raisonnement hasardeux aux services de bonnes conclusions.

Je dois avouer que je suis très surpris de l'effet qu'a eu ce livre sur les lecteurs de ce site. Je pense en comprendre la raison. Il est vrai que très globalement je dois comme beaucoup d'autres, partager l'opinion de l'auteur, Tzvetan Todorov, sur les différents sujets qu'il soulève. Toutefois, le grand problème que j'ai rencontré à la lecture de ce livre ce sont ses raisonnements. Ces derniers sont tout simplement très souvent boiteux, voire de simples avis personnels. Todorov devait avoir des conclusions toutes faites qui semblent avoir été très maladroitement alimentées par des tentatives de démonstrations, d'où leur manque de pertinence. Je ne reviendrais que sur trois parties de ce livre qui m'ont grandement posé problème : l'introduction, la première partie sur Barbarie vs Civilisation et la troisième partie sur le livre d'Huntington mais pas seulement.


L'introduction souffre du symptôme bien connu du : "tout ce que je n'ai pas pu caser dans mes chapitres, je le mets là". C'est un bordel pas possible. Au détour de quelques réflexions intéressantes sur des sujets diverses et variés, Todorov nous présente calmement un système de lecture du monde. Tout simplement. Selon lui il existe quatre catégories d'Etats dans le monde, s'étant constitué ainsi sous l'effet de la globalisation : les pays ayant de l'appétit, pays ayant du ressentiment, les pays marqués par la peur, enfin les pays indécis. A noter deux choses au passage. Les pays ayant de l'appétit sont également des pays humiliés, alors que l'humiliation semble être propre aux pays ayant du ressentiment selon Todorov. C'est donc extrêmement bancale. La théorie s'inspire du très mauvais travail de Moïsi, c'est donc peu étonnant. Second point, Todorov critiquera Huntington pour sa lecture trop simpliste du monde, alors qu'il en fait de même avec sa propre vision du monde. Bref... Il serait peut être temps que les auteurs cessent de développer des "théories permettant une lecture globale du monde" sur un coin de table. Cette approche de Todorov ne sera ainsi pas même développée dans les différents chapitres du livre, pour finalement ne réapparaître que brièvement dans la conclusion. Une telle systématisation des objectifs des différents Etats de ce monde est tellement attendue, que quand vous avez une idée auteurs et auteures, développez là, ou n'en faite rien. Mary Kaldor avait par exemple fait de même dans son très bon livre "New Wars".


La première partie est l'exemple le plus marquant de combien les raisonnements sont creux. Ce chapitre débute en présentant qu'il souhaite définir à quel moment on doit se montrer compréhensif par rapport à la culture d'autrui et à quel moment on doit se permettre de la juger car elle dépasse les bornes pour parler trivialement (ex : les corridas, c'est une autre culture on doit être compréhensif mais tout de même c'est une pratique assez terrible). De l'analyse de cette passionnante balance, le chapitre ne donnera honnêtement pratiquement rien. Le début sur la différence entre civilisation et barbarie est faite pour le pire. Todorov ne semble pas comprendre que ce qu'on définit de barbare ou de civilisé tient de l'opinion. Todorov présente par exemple le Tribunal de Nuremberg comme un acte civilisé et cela objectivement selon lui. Il n'en est rien. Si le même Tribunal s'était comporté de la même manière et avait finalement été décrié par la suite dans l'histoire, car par exemple un nouveau Reich nazi aurait repris le pouvoir, je peux vous assurer qu'on considérerait ce Tribunal comme barbare, comme ingèrent. C'est un point de vue. La démonstration est d'autant plus bancale. Todorov explique qu'est barbare ce qui "ne considère pas la pleine humanité d'autrui". D'accord mais c'est quoi ne pas considérer la pleine humanité d'autrui ? Todorov répond que c'est "de refuser aux autres le droit d'accéder aux mêmes joies et aux mêmes biens que ceux dons nous souhaitons profiter". C'est à dire comme dans tous les systèmes acceptant une forme ou une autre de hiérarchie ? Doit on comprendre qu'un supérieur refusant une augmentation à un subordonné fait un acte barbare ? Je ne fais que demander, je ne suis même pas sûr de la réponse de Todorov tant son raisonnement est creux. C'est cela qui est exaspérant avec ce live : ça sonne bien, ça raisonne mal.


La troisième partie sur la "guerre des mondes" m'a profondément agacé. Etant très intéressé par le travail de Huntington et ses contre-critiques j'y ai accordé beaucoup d'attention et le résultat est catastrophique. Encore une fois je rejoins Todorov sur le fait que la théorie de Huntington n'est globalement pas très juste, mais encore une fois le raisonnement y menant est très mauvais. Pour résumer, Todorov semble sous-entendre que Huntington promeut les chocs de civilisations. Il n'en est rien. Huntington a théorisé ces chocs et très précisément l'a fait pour les prévenir. C'est ainsi qu'il formule une approche très intéressante à base de trois lois (dont une étant la non-intervention à l'étranger). Todorov "oublie" d'ailleurs malencontreusement cette partie du livre de Huntington... Laisser entendre que Huntington a souhaité des guerres tel que la guerre d'Irak ou d'Afghanistan est scandaleux. La manière avec laquelle Todorov organise ce chapitre est d'ailleurs hautement suspecte. Comment peut on enchainer Huntington, guerre et torture ? Comme si tous trois étaient liés ? On peut y trouver un lien, mais certainement pas celui que Todorov a développé. On n'est pas loin de la malhonnêteté intellectuelle. C'est assez médiocre. De plus son angle d'analyse contre Huntington n'est absolument pas pertinent. Todorov déconstruit la théorie civilisationnelle de Huntington en l'analysant à l'aune de la religion. Certes Huntington considère que la religion est la partie la plus importante de la culture (devant la langue) mais le raccourcis est brouillon au possible. En gros, Todorov se saisit de la civilisation (base de l'approche de Huntington) et n'en extrait qu'une seule partie à savoir la culture, avant d'extraire une seule partie de la culture, à savoir la religion. Pour dire la même chose autrement, au lieu de raisonner au niveau de la civilisation, Todorov raisonne avec le sous-ensemble d'un sous-ensemble. Ce n'est juste pas bon.


Pour résumer sur les contre-critiques de Huntington en général, il serait intéressant de ne pas virer dans l'exact opposé. Si je devais décrire Huntington je dirais que c'est un "extrémiste simpliste". Extrémiste dans le sens d'extrême, jusqu’au-boutiste dirons nous dans sa théorie, tout s'explique par elle selon lui, et simpliste car elle simplifie beaucoup de chose pour exister. Pour répondre à une telle approche, j'en ai un peu assez de tomber sur d'autres extrémiste-simplistes. Todorov en est un. Pour schématiser, dès que Huntington dit "blanc", Todorov répondra "noir". Huntington : "la religion est très importante". Todorov : "la religion n'a aucune importance". Huntington : "les frontières sont le lieu d'affrontements culturels". Todorov : "les frontières sont le lieu de mélanges culturels". Peut-on gagner en subtilité ? Est-ce possible ? Peut-on parler de l'ensemble de l'oeuvre de Huntington, la fin y compris ? Peut-on éviter de faire des caricatures stupides et simplistes du travail de Huntington, alors même que c'est ce qu'on critique chez lui ? Est-ce possible monsieur Todorov ?


Concernant le reste des parties du livre, elles sont assez fades. Je n'en ai rien tiré. Beaucoup de banalité personnellement, avec lesquels je souscris encore une fois dans l'ensemble, mais lire ma propre pensée, n'a aucun intérêt, à moins d'être enrichie d'analyses subtiles pour la renforcer, ce que Todorov ne semble pas capable de fournir.


Je ressors avec très peu de chose de ce livre. Juste beaucoup de peur que des gens puissent le prendre à la lettre sans le remettre en question. Décevant monsieur Todorov. Très décevant. Comme tout travail médiocre sur un sujet complexe : le résultat est dangereux.

manoularcador
3
Écrit par

Créée

le 11 mai 2018

Critique lue 382 fois

1 j'aime

manoularcador

Écrit par

Critique lue 382 fois

1

D'autres avis sur La peur des barbares

La peur des barbares
ericchuberre
9

Critique de La peur des barbares par ericchuberre

Tzvetan Todorov nous propose de redéfinir quelques notions de base telles que Culture, Civilisation, travail indispensable si nous voulons encore croire au « vivre ensemble » .Il part de la célèbre...

le 26 avr. 2011

1 j'aime

La peur des barbares
Virgi
10

A lire absolument

Origine du mot barbare, origine du mot civilisation.......... Citation de Geertz : " Nous sommes des animaux incomplets ou inachevés qui se complètent et s'achèvent par le moyen de la culture."......

le 23 juil. 2011

Du même critique

Le Choc des civilisations
manoularcador
10

Un livre dangereux à ne pas mettre dans les mains de n'importe qui.

Il faudrait vraiment se demander quels sont les livres les plus dangereux à avoir été écrits dans notre Histoire moderne. Pour comprendre ce livre il faut tout d'abord se replonger dans l'époque à...

le 9 avr. 2018

13 j'aime

1

Autant en emporte le vent
manoularcador
1

Ce film est honteux, l'aimer est douteux.

Ce film est rempli d'idées nauséabondes. On y trouve des réflexions d'un racisme pas même dissimulé ; du révisionnisme s'agissant de la guerre de sécession et même une justification hallucinante du...

le 4 août 2017

11 j'aime

2

Darc
manoularcador
6

Ne massacrez pas ce film en vain où j'irai cramer un de vos chef-d’œuvres.

Le film est loin d'être scandaleux. Certes, il n'est en rien original et certes des incohérences sont à dénombrer. Toutefois, il faudrait peut être voir à se demander pourquoi vous visionnez un film...

le 5 mai 2018

8 j'aime