J'ai lu ce livre en pensant parfois : « si seulement ça n'était qu'une fiction »... Je me rappelle du mouvement de grève des juristes sous Sarkozy mais j'avoue être passée à côté du fait divers qui s'est produit à ce moment-là, ou je n'ai pas voulu savoir, ou j'ai voulu l'oublier peut-être. J'ai souvent ce réflexe face à un fait divers atroce car je me dis qu'il n'est pas utile de savoir cela (ça remue trop et ça ne change rien à ce qui s'est passé)... mais je suis contente d'avoir lu ce livre et de connaître l'histoire de Laëtitia. Ivan Jablonka a voulu rendre hommage à cette jeune fille et on a envie de l'en remercier pour elle. C'est une sorte de réparation par les mots (dans la mesure où cela est possible...). C'est un bel hommage mais ça n'en est pas moins un travail rigoureux et précis. Si l'insoutenable est inévitablement relaté dans ses détails, le choix d'un récit non chronologique, avec prolepses et analepses, ménage des temps de respiration et permet de ne pas réduire l'histoire de Laëtitia à l'horreur qu'elle a vécu. Le regard de l'historien est très éclairant pour comprendre les liens entre le fait divers, les bouleversements occasionnés dans le milieu de la justice et l'utilisation politique qui en a été faite. Jablonka est aussi un très bon écrivain. J'ai relevé quelques passages qui m'ont particulièrement émue. Les plus beaux sont ceux qui évoquent Laëtitia, avec la poésie que les hommes n'ont pas su lui offrir de son vivant, et ceux où l'auteur confie ses propres émotions :
« Cette nuit, j'ai eu une longue insomnie. Ma nervosité était due à la température caniculaire, au départ de mes filles en colonie de vacances, mais aussi à la perspective d'avoir à écrire ce chapitre.
Je me suis assis sous la fenêtre grande ouverte – cette fenêtre qu'un orage d'été a fait exploser il y a exactement cinq ans – et, dans l'air immobile de la nuit, j'ai jeté ces quelques lignes au dos d'une enveloppe. Ensuite, j'ai décidé que je n'écrirais rien, parce qu'il n'y a rien d'autre à écrire que l'absence et le silence dans la nuit glaciale d'une petite route de campagne, après que les cris ont cessé. Et puis, vous savez déjà tout.
J'ai posé l'enveloppe sur mon ordinateur et je suis allé me recoucher, comme Jessica, comme M. Patron et la voisine, parce que, comme eux, des années après, je savais qu'il n'y avait rien d'autre à faire. »