J'ai découvert ce roman par le biais d'un manga, portant le même titre, et dont l'avant-propos était signé par la traductrice du présent roman : Évelyne Lesigne-Audoly. Sa lecture m'avait fort intéressé et c'est elle qui m'a poussé à aller découvrir l'ouvrage originel.


L'ouvrage date de 1929, et est à porter au crédit de l'auteur japonais Kobayashi Takiji. Ce dernier était un auteur militant de la cause communiste, mort à 29 ans après avoir été capturé et torturé par la police politique japonaise (toute une époque...). Il appartenait à un courant littéraire (dont je n'avais jamais entendu parler) : la littérature prolétarienne dont le credo, d'une souplesse toute stalinienne je dirais, implique d'être :



  • né de parents ouvriers ou paysans

  • autodidacte (ayant quitté tôt l'école pour travailler, ou à la rigueur ayant bénéficié d'une bourse - en général pour devenir instituteur dans le système primaire, « l'école des pauvres », à l'époque où deux systèmes scolaires cohabitaient)

  • et qui témoigne dans ses écrits des conditions d'existence de sa classe sociale.
    (et on remercie wikipedia)


Kobayashi Takiji remplit le cahier des charges (ouf), et témoigne dans cet ouvrage des conditions de vie plus que déplorables des ouvriers, marins et pêcheurs envoyés en campagne de pêche au Kamtchatka, dans de véritables épaves flottantes.


Le roman a bien sûr été interdit à l'époque, mais a connu un retour en grâce au Japon en 2008, quand une partie de la population japonaise l'a redécouvert et se l'est approprié, les travailleurs de 30 - 40 ans ayant trouvé dans ce récit un écho à leur mal-être au travail (ce qui aux vues des scènes décrites dans le roman fait un peu flipper). Il a été traduit pour la première fois en français en 2015.


Mais foin de l'historique du roman, parlons un peu de son contenu. Globalement, les évènements relatés dans le roman, à quelques exceptions près, étaient déjà présents dans le manga, et je ne peux pas dire que j'ai été surpris par ma lecture. Mais elle n'a pas pour autant été sans intérêt.


L'écriture de Takiji est très intéressante. Déjà, il rend très bien compte de l'ambiance à bord de ce navire et des conversations entre les travailleurs du bord. En relatant l'histoire de ces 400 marins, il évite un écueil (ha ha) : celui de nous noyer sous les personnages.


Au contraire, et je pense que c'est complètement délibéré, il ne donne aucun des noms de ses protagonistes (à une notable exception dont on reparlera), les limitants à leur seule fonction ou origine sociale, à l'extrême rigueur à leur surnom au sein de l'équipage : le serveur, le radio, l'étudiant, le capitaine, le bègue...


Je pense que le but est de fondre complètement l'identité des personnes dans un grand collectif prolétarien, en ne laissant pas la parole à tel ou tel personne, mais à l'équipage en tant qu'entité propre. De même, le seul personnage dont le nom nous soit donné (sauf erreur de ma part), c'est celui de l'intendant Asakawa, qui est le représentant à bord des intérêts capitalistes et l'artisan des brimades dont les hommes auront à souffrir. Là encore, ce n'est pas anodin. L'ennemi (de classe) a un nom...


Ce roman est très fort, tant dans sa forme que dans son fond, les témoignages rapportés sont hallucinants (brimades physiques hardcore, considération zéro pour les ouvriers et les pêcheurs...), le message humaniste (et communiste aussi, of course) est fort. Je ne peux qu'en recommander la lecture.

M_le_maudit
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le 6 janv. 2018

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M_le_maudit

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