Le Carnet d'or
7.8
Le Carnet d'or

livre de Doris Lessing (1962)

Après plusieurs heures de lectures et de mentions d’hommes fronçant leurs sourcils, j’ai terminé la lecture du Carnet d’Or avec une forte appréciation, ayant bien dévoré le roman de Doris Lessing. Cela est imagé bien entendu, le livre n’a subi aucune dégradation de ma part ^^".


Roman de l’introspection, il pose la question de l’identité d’Anna Wulf, qui suivant le carnet aura un regard aussi bien introspectif et rétrospectif sur les évènements, cette question de l’identité se reflète dans la structure même du livre où tout est éclaté chez cette personne et dans lequel cette division finira par trouver cette unité dans le chapitre « Le carnet d’or » et sa conclusion dans « Femmes Libres 5 ». Une fois l’unité réunie, chacun des protagonistes, comprenant le personnage qu’on suit dans son évolution intérieure, à savoir Anna, pourront aller de l’avant dans leurs vies. Ce qui est assez drôle vu comme ça puisque c’est comme si Wulf avait une grande influence dans la vie des autres suivant son état et cette impression nous traverse par l’évolution du comportement de ses partenaires, surtout en ce qui concerne l’un d’entre eux qui était vraiment névrosé.


Chaque carnet présent dans les différents chapitres cherche à transmettre une part d’Anna Wulf qui décrit ainsi le contenant des carnets après plusieurs centaines de pages :



« Je ne crois pas m'être jamais dit, avant d'arriver ici : Je vais
posséder quatre carnets, un noir qui concernera Anna Wulf l'écrivain,
un rouge pour la politique, un jaune où j'écrirai des histoires à
partir de mon expérience, et un bleu où j'essaierai de tenir mon
journal. »



Outre ce regard sur soi, le livre parle aussi bien de l’atmosphère idéologique prégnante à l’époque chez les communistes stalinien et la désillusion progressive d’Anna et d’autres membres du Parti communiste quand à leurs idéaux révolutionnaires, montrant déjà les premiers signes dans la première partie du carnet noir où les membres de son groupe jouant les révolutionnaires en Afrique vont vite déchanter face à leurs idéaux de révolution vu leur entre-soi et qu’il n’y a personne pour les écouter. Ce groupe dont a fait partie Anna dans les années 40 en Afrique est très vaniteux avec ce côté de vouloir mettre à tout prix leurs idéaux en avant, en se croyant meilleur et bien plus avancé en termes d’idéal que les autres mouvements politiques. Je me souviens du moment où Willi dit qu’il ne faut pas soutenir le mouvement nationale de libération luttant contre la colonisation du pays parce que trop réactionnaire à son goût et voyant avant tout le monde sous le prisme d’une société de classe. Honnêtement, quand on sait pour leur manque de maturité, comment peuvent-iels mieux s’estimer que les autres et espérer changer le monde ? Je ne parlerais même pas du fait que les membres de ce petit groupe sont presque tous-tes des bourgeois-e-s et que derrière leurs idéaux de libération de l’Afrique et du soutient aux couches populaires, on voit bien qu’iels cherchent aussi à garder leurs privilèges, preuve en est quand les hommes du groupe auront la belle vie après que jeunesse est passée. Doris Lessing (l’autrice du livre) fait également mention du parti communiste britannique dans les années 50, qui est en plein essoufflement et contrôlé par d’anciens cadres bureaucrates voulant à tout prix cacher les horreurs se passant en URSS et trouvant des excuses en disant que les crimes se passant là-bas n’est en réalité que de la propagande impérialiste sinon une erreur de parcours du moustachu, la dégringolade atteignant son pic avec la mort de Staline en 1953, montrant la fin de l’idéal communiste tel qui le fut dans les partis communistes britanniques, commençant à se détacher de l’Union Soviétique.


Le livre parle aussi des femmes, de leur expérience, de leur ressenti et la relation qu’elles entretiennent avec les hommes, parler de « guerre de sexe » serait vraiment réduire la portée du roman, ce que dit déjà par ailleurs l’autrice dans la préface du livre. Il y a une véritable envie de mettre en avant la subjectivité, au contraire de l’objectivité que l’autrice dénonce comme le statu quo de son époque, une pensée prêchant l’objectivité n’aurait certainement pas permis dans le cas d’Anna d’aller de l’avant et d’être à nouveau en équilibre si elle n’avait pas su préserver de sa personne.


L’acte sexuel revient souvent dans le roman, non pas pour y donner un côté « sexy » ou être un simple élément narratif pour dire que le personnage a vécu plusieurs liaisons et transgresse les conventions de son époque, mais comme symbole. Cet acte chez Anna Wulf, joue dans les relations qu’elle aura avec ses partenaires, sa manière de se percevoir elle comme celui avec lequel elle couche. D’ailleurs dans le roman, les hommes pensent surtout avec leur bite (désolé d’être vulgaire mais faut le dire), je me rappelle surtout qu’ils sont montrés du doigt comme des personnes « chosifiant » les femmes car n’ayant cure de leurs sentiments personnels, égoïstes, dans un objectif de performance et trouvant normal que leurs épouses doivent se taire et les laisser voguer à leurs aventures, bref les hommes dans ce livre sont quasiment tous portrayait comme des enfoirés.


D’autres thèmes sont également présents comme celui de l’acte d’écrire, le racisme présent dans les colonies (même chez les « progressistes »), le rapport entre « création » et « destruction », le regard psychanalytique des femmes ainsi que quelques réflexions sur le medium du livre et comment celui-ci est abordé par les écrivains et critiques.


Pour sortir de l’examen analytique, ça m’a fait rire les commentaires qu’a cité Doris Lessing dans la préface du livre, il en est presque à croire que les lecteurs masculins n’ont lu que les premières pages ou ce qu’ils avaient envie de voir, certainement parce qu’ils n’ont pas pu supporter certaines remarques. Nous n’allons pas pleurer ici des gens si susceptibles, mais ils ratent l’occasion de lire un très grand roman qui s’il fait peur par son épaisseur, est fort riche.


Moment drôle m’ayant provoqué un fou rire, c’est quand Richard (financier à la City et époux de Marion) se rend compte dans la presse que Marion a participé à une manifestation pour l’indépendance africaine avec Tommy (le fils de l’ex-femme de Richard auquel elle va passer beaucoup de temps avec suite à sa tentative de suicide) et fait mine de s’inquiéter pour elle (surtout qu’il a peur pour son image oui) alors qu’il n’a de yeux que pour sa secrétaire (il a l’habitude de faire preuve d’adultère), un moment d’anthologie que je vous partage :


Page 1 ,
Page 2


J’ai vu sur d'autres sites qu’il y en a qui ont eu beaucoup de mal à rentrer dans le livre pas seulement parce qu’il n’est pas simple à lire, mais aussi parce qu’iels seraient un peu découragé par son épaisseur. C’est vraiment dommage, certes ce n’est pas un livre qu’on lit rapidement pour arriver à la prochaine page, il est nécessaire d’être concentré et attentif pour ne pas perdre le fil, mais n’empêche dommage de passer à côté parce qu’il y a une exigence attendu de la part du lecteur.


En guise de conclusion, c’est un très bon roman non pas seulement pour sa densité, mais pour la richesse qu’il contient. On a droit à une véritable peinture d’une époque que l’écrivaine sait transmettre aux lectrices-teurs. Vu que nous sommes encore dans la saison estivale, c’est le bon moment pour prendre le temps de le lire, il vous accompagnera tout le long de la saison. Enfin d’un côté, en disant que c’est un bon livre pour la saison estivale, c’est quand même un peu insultant vu l’immensité de ce chef d’œuvre.

Snervan
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Créée

le 1 août 2016

Critique lue 2.2K fois

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Snervan

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