J’avais formé, au fur et à mesure de ma lecture, des petits morceaux de critique. Il ne me reste donc théoriquement qu’à les mettre bout à bout pour vous dire à quel point j’ai apprécié le Déchronologue, mais ce serait sans compter sur ma mémoire qui me fait faux bond au moment le plus inopportun. Et ça m’embête, parce que je m’en voudrais de me contenter d’effleurer les raisons qui en font un excellent livre. Mais essayons quand même, et commençons par le début.

Le Déchronologue, donc, c’est l’épopée à la 1e personne du capitaine Henri Villon, flibustier français sévissant au sein des Caraïbes, au nez et à la barbe des Spaniards, entre 1640 et 1655 – on admire au passage la volonté de détails et de justesse de Stéphane Beauverger à propos de l'époque et des lieux visités. Et s’il s’agit au début pour Villon et quelques comparses de reprendre le contrôle d’une île aux mains des Anglais et de faire front à l’empire ennemi, il se retrouve bien vite balloté entre les eaux caraïbes et entre les lames de fond du temps, surtout. Des maravillas apparaissent en effet dans ce siècle, des vaisseaux fantômes venus d’autres époques surgissent au milieu des flots sans crier gare : la linéarité du temps est détruite.

À ce point détruite que le récit n’est pas droit : il avance, saute allègrement plusieurs années, avant de revenir sur ses pas – seulement pour mieux bondir. Le Déchronologue ne se contente pas de parler d’un concept somme toute classique en SF – quoique originalement placé sur la mer et dans le milieu de la piraterie –, les soubresauts du temps, il le fait vivre par la forme. On passe donc du chapitre II au VII, au XXII, au XI. Du coup, on a l’impression de lire environ trois histoires parallèlement, correspondant à trois époques dans la vie du capitaine Villon, avec trois équipages différents et, finalement, trois états d’esprit très différents de la part du narrateur – mais trois histoires qui ne se construiront pas linéairement pour autant. Par essence, ceci cause régulièrement quelques problèmes pour resituer 1) les personnages rencontrés au hasard d’une ruelle, 2) l’action. Pour peu que vous ne lisiez pas le bouquin en une semaine, il faut parfois (surtout passées les 200 premières pages) se replonger dans la table des matières pour retrouver le chapitre précédant chronologiquement – si toutefois ledit chapitre a déjà été relaté. Ca ressemble furieusement à une critique dit comme ça, mais c’est en réalité un point que j’ai adoré. Je n’ai pas pour habitude de considérer ce qui rend la lecture un peu plus exigeante comme un défaut. Finalement, n’observe-t-on pas de la sorte une partie du désarroi des protagonistes ?

Sans compter que c’est exactement pour cette raison que l’histoire marche à ce point. Ces 550 pages sont un trésor de suspense et d’anticipation pour le lecteur : on sait depuis le début nombre de détails, nombre d’événements étalés sur plusieurs années. On n’est donc plus seulement poussé par l’envie de savoir « qu’arrive-t-il ensuite ? », on veut surtout savoir « comment en est-il arrivé là ? » Beauverger sait offrir les informations au compte-goutte pour dévoiler les cartes du jeu quand il faut, sans jamais paraître artificiel.

En outre, l’écriture est exquise. Henri Villon n’est pas narrateur pour être narrateur – bon, sans compter qu’il est le protagoniste principal et le héros du bazar, hein. Il a une voix, un style, le verbe reconnaissable fleurant bon la piraterie, excentrique juste ce qu’il faut pour le rendre particulièrement charismatique, classe et familier à la fois. Il évolue merveilleusement au fil du récit, s’épaississant à chaque page pour offrir un personnage haut en couleurs et délicieusement crédible.

Je pourrais soulever un bémol concernant l’absence d’explications de certains événements majeurs (dont je tairai ici la nature pour ne pas vous gâcher la lecture), mais je ne suis pas sûr que j’y crois vraiment. La structure du roman excuse ce manque d’explications – et puis a-t-on toujours besoin de se faire dire la totalité de l’histoire de A à Z ? Les non-dits savent aussi se révéler savoureux.
[Spoil] Un autre truc à la mord-moi-le-nœud (un peu quand même), ce sont les appareils électroniques et les bouquins qui trempent dans l'eau avant d'être récupérés et qui marchent parfaitement/sont en parfait état. Bon, c'est un détail et je passe volontiers dessus, mais je trouve ça un poil dommage quand même. De même que parvenir à trouver tout le temps suffisamment de batteries pour faire fonctionner l'électricité en tous lieux, ça paraît étrange. Mais ça aussi ça peut passer. [Fin du spoil]

Et puis, bon, hein, il m’a rappelé des lieux et des paysages magnifiques du Guatemala, alors forcément je ne pouvais pas résister à l’appel du pied. (Mais ça, c’était légèrement déloyal comme achalandage…)

J’arrive donc au bout de cette critique, et je n’ai pas l’impression de l’avoir aussi réussie que je l’aurais souhaité ni d’avoir souligné la moitié des qualités que j’avais relevées en lisant, mais ce livre est bien, si vous n'avez pas peur de vous perdre un peu. Vraiment.

(Vraiment.)
Jeolen
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 Livres

Créée

le 10 janv. 2014

Critique lue 541 fois

3 j'aime

Jeolen

Écrit par

Critique lue 541 fois

3

D'autres avis sur Le Déchronologue

Le Déchronologue
herkan
9

Quand le temps se délite...

Le Déchronologue est un roman ambitieux par sa forme comme par son sujet. Stéphane Beauverger s'y propose de traiter du voyage dans le temps et de ses conséquences, non pas du point de vue de...

le 8 juil. 2011

19 j'aime

Le Déchronologue
Nébal
8

Critique de Le Déchronologue par Nébal

De l'auteur, je n'avais rien lu jusqu'à présent. ... Bon, si, d'accord, sa nouvelle d'Appel d'air que j'avais détestée, mais ça vaut pas, d'abord, hein, bon. D'autant que le reste de la production...

le 10 oct. 2010

16 j'aime

1

Le Déchronologue
Chavia
3

L'art et la manière de comprendre que dalle.

Oui parce que soyons honnête, on ne comprend rien au Déchronologue. C'est vrai que les personnages sont sympas tout comme les différentes situations auxquelles ils sont confrontés. Mais c'est...

le 2 févr. 2015

8 j'aime

Du même critique

Le Prophète
Jeolen
5

Petit parfait à l’usage de ceux qui veulent se rassurer sur leur vision du monde

D’un livre quelconque qu’on n’a pas aimé, on dit qu’on n’est pas rentré dedans, qu’il n’a pas su nous happer, qu’il est mauvais – bref, que le problème vient du fichu bouquin dont on espérait mieux...

le 25 janv. 2014

16 j'aime

Fondation - Le Cycle de Fondation, tome 1
Jeolen
10

Une perle atomique

J'avais mis 9 à Fondation. De mémoire, près de 2 ans après l'avoir lu, je m'étais dit "c'était génial, j'ai adoré, ça vaut bien ça !" En fait, je ne me rappelais pas à quel point c'était bien. Alors,...

le 21 juin 2013

15 j'aime

3

Sandman : L'Intégrale, tome 1
Jeolen
4

Héros et lecteur, unis dans l’absence d’émotions

Je n'avais plus été aussi déçu depuis qu'un ami m'avait conseillé L'Épée de Vérité, il y a sept ans. Rassurez-vous tout de même, la comparaison s'arrête ici. Là où l’autre était juste sans intérêt et...

le 5 août 2015

11 j'aime

4