« Je n’ai plus que trois pas à faire : Bicêtre, la Conciergerie, la Grève. » (Chapitre XV)



Le jeune Victor Hugo est un auteur déjà bien connu lorsqu’il commence à écrire son troisième roman intitulé Le Dernier Jour d’un Condamné, publié en 1829. Dans cette œuvre, un condamné à mort nous raconte les derniers moments de sa vie, allants de son procès jusqu’à l’heure fatal. Ce livre fut d’abord publié anonymement et dans un premier temps l’auteur ne développa pas son idée avant d’être compris. Dans ce roman Victor Hugo s’élève contre la peine de mort.


Le fait que nous ne connaissons quasiment rien de l’identité du condamné aiguise notre curiosité et nous incite à poursuivre la lecture. Nous ne connaissons ni son nom, ni même les détails de son crime. Nous savons seulement qu’il laisse derrière lui une mère, une femme et une petite fille âgée de trois ans. Le fait qu’il n’ait pas d’identité signifie que le condamné peut représenter tous ceux qui ont été, qui sont et qui seront dans son cas : condamné à mort ! Cela nous touche d’autant plus car on imagine que chacun d’eux passe par les mêmes étapes que le narrateur.


Dans la « Lettre de Victor Hugo à son éditeur », on apprend que ce dernier avait conseillé l’auteur de faire l’histoire du condamné. Hugo lui explique dans sa lettre qu’il ne suivra pas ce conseil, ce qui est tout à fait compréhensible, car il ne voulait pas écrire l’histoire d’un personnage unique mais quelque chose que se rattache à tous. Cela lui sera beaucoup reproché comme on peut le voir dans le Journal des débats qui date du 26 février 1829, où Nisard écrit : « Ce criminel n’a pas eu de passé : il vient là, sans antécédents, sans souvenirs : on dirait qu’il n’a pas vécu avant d’être criminel. ». De plus, dans sa troisième préface, Victor Hugo ajouta une petite pièce de théâtre intitulé Une Comédie à propos d’une tragédie, qui anticipe les prochaines critiques qui lui seront faites à ce sujet. Le déroulement de la scène se passe dans un salon et présente une discussion sur Le Dernier Jour d’un Condamné, entre Madame de Blindal, le Chevalier, Ergaste, un poète élégiaque, un Philosophe, un Gros Monsieur, et un Monsieur Maigre. Certains n’osent même pas prononcer le nom de cet ouvrage tellement son contenu révèle l’horrible réalité. Á un certain moment les personnages débattent sur le sujet de l’histoire du condamné. L’un d’eux dit que s’il avait été l’auteur il aurait écrit l’histoire de son condamné pour rendre plus intéressante l’intrigue, mais tous les autres sont contre cette idée car sinon le message politique aurait moins bien été compris. Enfin, pour finir avec l’idée d’un personnage qui représente une généralité, Victor Hugo dit dans sa préface de 1832 : « Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause, il a dû, et c'est pour cela que Le Dernier Jour d'un Condamné est ainsi fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l'accident, le particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l'épisode, l'anecdote, l'événement, le nom propre, et se borner (si c'est là se borner) à plaider la cause d'un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime quelconque. » Le personnage de ce roman représente donc tous les condamnés.


Le Dernier Jour d’un Condamné est un roman analytique (ou psychologie). Il est écrit en monologue autonome (ou intérieur) et est donc à la première personne du singulier, en focalisation interne. Ceci fait que nous sommes plus touchés par les paroles du narrateur car nous voyons et ressentons les mêmes choses que celui-ci. Nous nous identifions à lui, et l’utilisation du « je » nous implique fortement dans l’histoire. Nous ressentons chaque angoisse et peur du condamné comme si nous étions à sa place, et nous sentons aussi sont désespoir et sont anéantissement. Á plusieurs reprises, mon corps fut traversé par un terrible frisson d’horreur, d’effroi et d’angoisse. De plus, nous nous mettons à espérer, tout comme le narrateur, que le Roi le gracie, jusqu’au dernier moment.


Il y a également dans ce livre des scènes très visuelles qui doivent normalement nous faire réagir comme par exemple le « spectacle » des forçats et des galériens qui doivent être emmenés à Toulon. La maltraitance physique y est très présente et est renforcée par les mauvaises conditions météorologiques comme le froid et la pluie du mois d’octobre. Les prisonniers sont traînés dans la boue avec pour seuls vêtements des habits en toile de jute, qui se retrouvent très vite trempés. De plus, la jeunesse de certains de ces forçats est assez choquante. Lors du « spectacle », le narrateur nous décrit un jeune homme de dix-sept ans qui doit être emmené avec les autres. D’ailleurs, le narrateur est lui-même assez jeune, il a entre vingt-cinq et vingt-sept ans.


Une obsession parcourt toute l’œuvre. Il s’agit bien évidemment des têtes. On en voit partout, qu’elles soient coupés ou non. Par exemple, on voit des murs de têtes qui regardent le «spectacle» des forçats. De plus, le narrateur nous rappel souvent la présence du panier rouge, images sanglantes et épouvantables. Mais aussi la foule qui est comparée à une « mer de têtes ». D’ailleurs, cette foule prend une place importante dans le roman car elle est présente au début et à la fin, au procès et au moment où on commence à emmener le condamné pour le préparer à la Conciergerie. Même si on ne la voit pas tout le temps, on l’entend, c’est comme un bourdonnement désagréable, elle est toujours présente. Elle est comme une meute de vautours qui tournoie autour de sa proie et qui n’attend que celle-ci meurt pour s’en délecter. L’auteur nous dépeint toute la cruauté de cette foule qui pour elle la mort n’est qu’un spectacle auquel il faut rire et dont il faut s’amuser : « Tout ce peuple rira, battra des mains, applaudira. » (Chapitre XLV).


Pour mieux nous impacter et pour faire passer ce qu’il veut dire, Victor Hugo n’hésite pas à utiliser l’ironie à de nombreuses reprises. On peut surtout le voir au chapitre XXXIX, qui m’a particulièrement touché et fait réfléchir, par les questionnements du narrateur et de ses remises en causes. Où encore lorsque le condamné ce fait couper les cheveux et le col de sa chemise avec des ciseaux d’acier, le narrateur tressaille et celui qui le prépare lui demande s’il ne lui à pas fait mal. Après cela, le narrateur dit : « Ces bourreaux sont des hommes très doux. » (Chapitre XLVIII). L’ironie peut aussi être le signe que l’angoisse monte de plus en plus chez le narrateur qui nous transmet ce sentiment.


Mais où Victor Hugo a-t-il put trouver un sujet aussi tranchant ? Dans l’édition dans laquelle j’ai lu Le Dernier Jour d’un Condamné, il y avait des documents supplémentaires très intéressants, comme par exemple un article intitulé «L’Échafaud» qui racontait comme l’auteur avait trouvé son sujet. De plus, dans sa préface de 1832, Victor Hugo nous dit que certains avaient pensé que l’auteur avait pris son idée d’un livre anglais et d’autres d’un livre américain. Mais un peu plus loin, il nous révèle qu’il a pris son sujet « tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. ». Ce qui est d’autant plus choquant du fait que l’idée de ce roman n’est pas tirée d’un livre mais de la réalité, tout proche des gens de cette époque.


L’auteur nous révèle donc une réalité horrible que personne ne voudrait voir tout en préservant un récit narratif très prenant.


Pour ceux que cela intéresse voici une citation du livre, qui se trouve au chapitre XXXIX :



«Ils disent que ce n’est rien, qu’on ne souffre pas, que c’est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée.
Eh ! qu’est-ce donc que cette agonie de six semaines et ce râle de tout un jour ? Qu’est-ce que les angoisses de cette journée irréparable, qui s’écoule si lentement et si vite ? Qu’est-ce que cette échelle de torture qui aboutit à l’échafaud ?
Apparemment ce n’est pas là souffrir. […]
Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ? Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !
Ya-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : C’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne.»


LaPetitePirate

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

5
3

D'autres avis sur Le Dernier Jour d'un condamné

Le Dernier Jour d'un condamné
Vincent-Ruozzi
8

Condamné à mort !

Le livre commence sur cette sentence, brève, précise, irrévocable. Qui ne serait pas habité par une envie de vivre, jusqu’à présent jamais aussi forte, suite à cette terrible condamnation? Cette...

le 10 avr. 2015

27 j'aime

Le Dernier Jour d'un condamné
LeChiendeSinope
9

Un violent plaidoyer.

Légers spoilers ! Lorsqu'il se met à écrire Le Dernier Jour d'un Condamné, Hugo a seulement 27 ans. Il est pourtant, déjà, un grand nom de la littérature de l'époque, l'auteur de deux romans, de...

le 20 avr. 2010

27 j'aime

3

Le Dernier Jour d'un condamné
Noss
5

Critique de Le Dernier Jour d'un condamné par Noss

Réquisitoire engagé et louable contre la peine de mort, néanmoins un peu malhonnête. Hugo présente un personnage dont on ne dit pas le crime, de sorte que pour le lecteur, il n'existe pas. C'est...

Par

le 31 août 2012

26 j'aime

14

Du même critique

Le Mangeur d'or - Undertaker, tome 1
LaPetitePirate
8

"Depuis quand ce genre d’artillerie fait partie de l’équipement d’un croque-mort ?"

"Depuis qu’il préfère ne pas être son propre client."Un croque-mort du nom de Jonas Crow est appelé par Joe Cusco, un riche mineur d’Anoki City. Celui-ci lui fait une commande un peu spéciale. En...

le 29 août 2022

14 j'aime

4

Il était une fois en Amérique
LaPetitePirate
10

J’ai rencontré le cinéma

3h45 de film, c’est le temps qu’il faut pour ce chef-d’œuvre pour changer à jamais notre vision du cinéma. 3h45 de film qu'on ne voit absolument pas passer, chaque minutes et chaque secondes sont...

le 8 avr. 2022

14 j'aime

5

Le Chant de la mer
LaPetitePirate
9

La douce mélodie de la mer

Voila un film d’animation fort agréable à regarder et très captivant. Qui a dit que les dessins animés étaient réservés seulement aux enfants ? En tout cas, en ce qui concerne Le Chant de la mer, de...

le 17 juil. 2018

12 j'aime

4