Avant de lire ce livre, je ne connaissais que la cause féministe par toutes ses formes modernes et souvent maladroites, à travers ses polémiques médiatisées, ses grandes envolées télévisuelles, son militantisme parfois exacerbé, ses débats de soirées sans fin et sa dernière (fausse ?) révolution #metoo.


Au fond j’ai toujours soutenu ces dernières avancées mais je manquais vraiment de connaissances approfondies pour faire l’état de la condition féminine et de ses réelles mutations au cours du temps. Lire ce livre fait du bien car il est construit méthodiquement et froidement autour d’une recherche factuelle de la place féminine au cours de l’histoire de l’humanité, depuis ses débuts primitifs jusqu’à l’après seconde guerre mondiale.


Je précise que je n’ai pas encore lu le second tome mais c’est évidemment prévu !


Toute la première partie historique est parfois dense, longue et rude mais elle est intéressante en une multitude de points, notamment les liens directs mis en évidence par Simone de Beauvoir entre l’évolution de la technique, des moyens de productions, et les différentes places qu’occupera la femme suivant les différents régimes politiques, et suivant également le rapport du « mâle » avec la propriété privée.


Très vite Simone de Beauvoir écarte les thèses marxistes et psychanalytiques qui conviendraient d’expliquer un peu trop simplement la domination, dans l’histoire, des hommes sur les femmes, cependant elle s’appuiera sur ces dernières pour les compléter ou les réfuter grâce à une étude historique et mythologique.


On entend beaucoup actuellement que la lutte féministe serait une lutte bourgeoise, dissociée totalement de la lutte des classes, détachée des modes de production. Ici on rattache tout de même la question de la femme en fonction de la technique, mais De Beauvoir y rajoute la question du regard masculin dans son intégralité, le regard "mâle" qui tantôt porte la femme en divinité, tantôt la soumet et la fait servante, mais ne cesse de la considérer comme l’Autre. Tout ceci dans une longue partie analytique, mais grandement appuyée sur des œuvres littéraires et parfois cinématographiques sur la mythologie de la femme.


L’analyse mythologique est vraiment intéressante, on voit qu’il n’y a pas qu’un seul mythe mais une multitude qui se soustraient les uns les autres pour conforter, exalter, rassurer, exciter, transcender l’homme se positionnant en face de l’Autre.


La force du livre est de s’appuyer sans cesse sur des œuvres, sur des faits historiques, on peut contester sans doute les analyses mais le bloc culturel invoqué par De Beauvoir est massif. Peut être trop dense pour atterrir dans toutes les mains ? Si la lutte féministe se fait bien souvent aujourd’hui en 140 caractères, elle n’avait jamais pris pour moi autant d’ampleur que sur cet ouvrage de 1000 pages (il m’en reste 600 à lire).


Je serais vraiment curieux d’avoir l’éclairage de De Beauvoir sur la situation et la place des femmes dans notre époque quand je lis certains passages de ce livre, tout de même optimiste à l’époque (pour elle les femmes ont déjà "gagné la partie"), mais qui sous-entend parfois que l’on pourrait aller en sens inverse par l’omniprésence des différents mythes dans la société humaine.


Considérer les femmes « comme des frères », sans aucune exploitation, implique une analyse constante du contexte historique, sociale, économique et morale dans laquelle elle se place. Tout cela sans aucune garantie que nos actions auront une quelconque finalité, la lutte féministe inspirée par « Le deuxième sexe » pourrait être pleinement sincère, mais aussi favorisée par une société qui divise sans limite le travail et qui peut laisser présager à une refonte de l’individu, sans genre, sans pays, sans identité, numérique.


De Beauvoir nous dit « Et sans doute il est plus confortable de subir un aveugle esclavage que de travailler à s’affranchir : les morts aussi sont mieux adaptés à la terre que les vivants ». On veut l’égalité et on semble l’obtenir, sans savoir si on l’a réellement arraché, ou si on nous l’a abandonné à d’autres fins.

KévinDes1
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le 15 sept. 2020

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