" Pour Mary Roy qui m'a élevée, Qui m'a appris à m'excuser à chaque fois que je voulais l'interrompre en public. Qui m'aimait assez pour accepter que je la quitte. Pour LKC, qui, comme moi, à survécu." Le Dieu des Petits Riens est avant tout l'histoire d'un drame familial: la mort de la petite Sophie Mol, petite cousine anglaise de neuf ans, avec son teint blanc, ses cheveux blonds, son pantalon jaune en pattes d'éléphant. C'est l'histoire d'une mère, Ammu, qui aimait à sa manière. Aimante, mais dure, imprévisible, distante, abrupte : "Est-ce que tu sais ce qui arrive quand tu blesses les gens ? Ils t'aiment un peu moins, voilà tout." Voilà par exemple ce qu'elle avait répondu après que Rahel, sa fille de huit ans, ait laissé échappé malgré elle des mots qu'elle ne pensait pas. Toute leurs vies, Estha et Rahel, faux jumeaux, courront après l'amour fuyant de cette mère pleine de vécu. Rahel cherchant toute son enfance à faire fuir le petit papillon velu aux pattes gelées qui s'était déposé sur son cœur étourdi à ce moment précis. "Pas de repas, contre l'amour d'Ammu comme avant."
Le Dieu des Petits Riens est un livre d'émotions, de sensation, de liens et de déchirement. Tout dans la narration semble être essentiel, chaque majuscule utilisée, la désarticulation du temps, l'alternance entre prolepse et analepse, chaque phrase en italique. C'est un langage de sensation, métaphorique, sensuel, singulier, des répétitions tout le long du livre, répétitions symboliques, qui semblent incohérentes d'abord puis se révèlent en même temps que l'intrigue, qui finissent comme les organes essentiels du romans : "L'homme Orangeade-citronade, le sandwich à la tomate d'Estha, Un-fini bonheur, le papillon aux pattes gelées sur le cœur de Rahel, des cascades dans les Va-Va, la Robe de Fée à l'Aéroport, la mélodie du bonheur, Pas de Statue l'Egale, les sept vergetures d'Ammu…" Des petits détails, des petits riens insignifiants, constitutifs de ces vies singulières. Beaucoup d'aspects sont intéressants, dont le langage utilisé par exemple dans les descriptions faites de l'Inde post-coloniale: langage soulignant la lourdeur du climat, l'impudeur des paysages, l'excessive chaleur, la grossièreté de la nature, l'auteure utilise le langage colonial dans le but de dénoncer le colonialisme. Le militantisme d'Arundhati Roy est subtil, mais présent, on peut voir la dénonciation du racisme post-colonial (souvent intériorisé par les personnages), du système de caste, de la condition féminine, du problème des traditions et de l'hypocrisie religieuse, de la violence au sein de la famille…
C'est un roman bouleversant, abordant des sujets propres à la dure réalité de l'Inde, le viol, la mort, la violence, l'injustice, la corruption, paradoxalement adoucis et sublimés par le regard d'enfant posé sur la réalité. Enorme coup de cœur.

MarieBonneau
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le 7 mai 2019

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Armin Tamzarian

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