L'art de la Guerrillère

S'il y a un sujet en France plus clivant que l'Islam ou les violences policières, c'est bien le féminisme. Il n'y a pas un seul mois sans que le sujet ne revienne sur la table médiatique où s'affrontent sans relâche éditorialistes gueulards et militantes excédées. Je n'évoquerai même pas les réseaux sociaux tant ce que j'y lis me consterne bien trop. J'ai beaucoup de respect pour la patience d'Alice Coffin et son courage de s'être ainsi lâchée elle-même en pâture à tous les chiens de garde professionnels et amateurs qui défendent avec un acharnement malsain le statu quo ambiant. Peu importe de ce que l'on pense de son ouvrage, il faut lui reconnaître l'aplomb de s'être désigné comme une cible à abattre puisque, et je pense que l'on peut aisément s'accorder là-dessus, Le Génie Lesbien n'aura pas le pouvoir de changer un avis déjà tranché.

Alors oui, on a pu voir Lurent Ruquier, tout penaud, faire son "mea culpa" et brandir un livre couvert de fluo bleu pour y défendre une Alice Coffin magnanime, mais ne nous leurrons pas, aucune femme n'a jamais fait de politique sans casser quelques couilles au passage. Je ne crois pas que la qualité de l'ouvrage réside dans ce qu'il dit car, si vous baignez un peu dans les cercles militants, vous n'y trouverez certainement rien d'incroyable ni de renversant. Son véritable tour de force, c'est plutôt d'avoir été un formidable cheval de Troie destiné à percer les murailles médiatiques et en même temps, venant d'une journaliste, le contraire aurait été étonnant. Même si je ne suis pas d'accord avec tout ce que propose Coffin, son combat et sa manière de le mener force le respect. Vous comprendrez donc que pour moi, le mérite de ce bouquin n'est pas réellement sa qualité littéraire et/ou argumentative.

Tout d'abord parce que tout est décousu et ressemble à un fourre-tout qui oscille entre le pamphlet coup de poing et le récit d'une expérience militante singulière. Je me suis demandée sans arrêt comment Alice Coffin allait raccrocher tous ses wagons à la locomotive de ce fameux Génie Lesbien et autant vous dire que la manœuvre m'a laissée dubitative. Je sais bien qu'il y a un lien évident entre toutes ces pérégrinations spirituelles, mais à lire quelques critiques sur ce site, il fallait se lever tôt pour le comprendre. C'est là que j'ai compris que le véritable problème de ce livre c'est qu'il ne sait jamais à qui il s'adresse et pourquoi. S'il était réellement engagé, on se serait épargné les lieux communs et s'il était plus "vulgarisateur", il aurait sûrement remis bien plus de choses dans leur contexte, donnant ainsi aux lecteurs novices (oui oui, lecteurs) quelques clés de lecture bienvenues.

Ainsi, je me serai épargnée quelques inepties que j'ai pu lire ça et là et en particulier sur l'américanisme primaire dont on fustige l'autrice, sans savoir que le féminisme français s'était déjà exporté vers le pays de l'Oncle Sam bien avant qu'Alice Coffin elle-même ne soit née ! Partir du principe que tout le monde partage la même culture politique n'a jamais fait avancer le débat, malheureusement.