Dernière nouvelle de Stefan ZWEIG, publiée en 1942, après son suicide, Le joueur d’échecs est une nouvelle métaphorique. Est-il question du jeu, de l’échec, de la torture ou de la résistance ? On peut aisément lire ce petit livre (quelques 100 pages) pour la nouvelle. Très bien construite, en quelques scènes théâtralement bien posées, on n’a aucune peine à situer l’action, le lieu, le temps et les personnages qui sont à la fois crédibles, lisibles et qui interpellent.
Mais on peut aussi lire cette nouvelle comme une réflexion sur le Monde, sur les forces du Mal qui s’en emparent, qui limitent la liberté de l’Être, qui avilissent l’Homme par des tortures raffinées, psychologiques et sur les manœuvres sous-marines qui mettent en place des aigris et laisser pour compte de nos sociétés sous la forme obscure de cellules dormantes. Tôt ou tard, ces petits, ces sans grade ni considération croiront servir une juste cause et se rangeront du côté de la barbarie et de la destruction de l’âme humaine.
Entre passion et compassion, le lecteur que je suis a été touché au cœur par ce joueur d’échecs autrichien qui, retenu par la Gestapo dans sa chambre-cellule, ne doit sa survie qu’à sa capacité de briser sa solitude en jouant, à l’aveugle, dans sa tête, les quelques 150 parties d’échecs menées par les grands champions de l’époque. Mais briser une solitude n’est pas un rempart à la folie. Le joueur s’emballe, invente de nouvelles parties, il se ‘schizophrènise’, devient tour à tour, en même temps les noirs qui jouent contre les blancs et les blancs s’opposant aux noirs. En lui, les deux veulent gagner, contre lui, contre toute logique !
Plus tard, sur le paquebot qui l’emmène ailleurs, dans une autre vie, le joueur d’échecs reprendra part à un combat de champions. Gagnera-t-il sa dernière part ? Battra-t-il le champion du monde en titre ? Sortira-t-il vainqueur de ce combat ? Gagnera-t-il contre lui-même ?
La plume de Stefan ZWEIG, marquée par la patine du temps, conserve tout son charme, son efficacité et sa lisibilité et fait du lecteur, spectateur complice, un homme heureux bien que questionné. Bien avant que le mot ‘résilience’ n’existe, ZWEIG s’interrogeait déjà sur la capacité de l’Homme à rebondir, à se doter de forces pour combattre l’être qui, en lui, pourrait avoir la tentation de s’abandonner sans lutter !

François_CONSTANT
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le 9 févr. 2017

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