En apprenant qu'Henri Loevenbruck revenait au polar historique en s'intéressant à la Révolution française, j'avoue que j'ai frétillé comme un poisson rouge apprenant son transfert d'un bocal quelconque à un aquarium taille XXL. Je suis fasciné depuis longtemps par cette période historique, brève dans le temps mais aux conséquences aussi complexes qu'extraordinaires à long terme. Sans parler du "casting" de ces quelques années, qui ont vu émerger des figures d'une puissance phénoménale, dans leurs héroïsmes comme dans leurs travers, de sa violence sidérante... Bref, de ses innombrables ingrédients qui en font une matière riche, au fort potentiel dramatique et donc romanesque.


Vous savez ce qu'on dit dans ces cas-là : quand on en attend trop, on accroît le risque d'être déçu. Mon enthousiasme initial a en effet quelque peu fondu au fil des pages de ce gros roman, dont plusieurs passages tirent en longueur (en dépit de l'enchaînement de chapitres assez courts), tandis que l'ensemble souffre d'un manque d'intensité, un peu regrettable au regard des événements qui s'y jouent.
Alors, certes, il faut le temps de planter le décor. Celui de Paris est remarquablement rendu, rendant justice au formidable travail de documentation dont Henri Loevenbruck est coutumier ; en cela, il est comme toujours à la hauteur de son talent habituel.


Le contexte historique, lui, nécessite beaucoup d'explications, d'autant que les personnages (ayant existé pour la plupart) abondent. Soucieux, sans doute, de ne rien négliger, le romancier essaie d'exploiter toute la largeur de la palette, au risque de diluer certains enjeux, de rendre confus certains acteurs (je me suis souvent perdu entre les frères du Roi...), et de trop étaler la narration.
Le travail de reconstitution apparaît alors souvent pour ce qu'il est : un travail. Il m'est souvent apparu un peu scolaire, classique, dénué de prises de risque. Oui, bon, j'avoue, passer après Eric Vuillard et son sublime 14 juillet rend toute approche romanesque de la prise de la Bastille presque caduque. Du reste, Loevenbruck se sort avec les honneurs de ce passage obligé, l'un des plus intenses du livre. Ce sont d'autres épisodes, tous restitués avec soin (le Serment du Jeu de Paume, les États Généraux, la harangue de Desmoulins au Palais Royal...), qui souffrent à mon sens d'un léger manque de souffle et de personnalité.


Le suspense principal, imaginaire, autour du Loup des Cordeliers, perd également vite de l'intérêt, noyée dans les nombreux événements véridiques mis en scène par le romancier. D'autant qu'à l'examiner avec le recul, cette intrigue s'avère assez ténue. Dommage, car le personnage est spectaculaire, et la révélation de son identité ne manque pas de panache.


Au rayon des satisfactions, le héros imaginé par Henri Loevenbruck mérite un petit mot. Son Gabriel Joly, jeune homme impulsif mais doué, doté d'une capacité d'observation et d'une mémoire qui en font l'ancêtre du Rouletabille de Gaston Leroux, est un personnage que l'on a envie de revoir à l’œuvre - ce qui sera le cas puisque (j'y reviens en conclusion) Le Loup des Cordeliers ouvre une série romanesque.
Le pendant féminin de Gabriel, la sublime Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, a véritablement existé. J'avoue en avoir découvert l'existence grâce à ce roman, alors même que c'est l'une des grandes figures féminines de la Révolution. Peut-être est-ce le fait d'avoir échappé à la guillotine, à la différence de ses illustres consoeurs Olympe de Gouges, Madame Roland ou Charlotte Corday, qui l'a laissée dans l'ombre. En tout cas, Loevenbruck la réhabilite de manière flamboyante, et j'attends également son retour avec impatience.


Car oui, donc, Le Loup des Cordeliers n'est que le premier tome d'une série. Le détail a son importance car, comble d'infortune, la fin de ce roman reste largement ouverte. Nouvelle source de frustration, puisque tel est le mot qui me revient en songeant à ce livre : alors que son dernier quart prenait enfin son envol, voici que les pages s'arrêtent, laissant en suspens nombre de mystères, et le lecteur dans l'attente des prochaines heures sombres de la Révolution...


En dépit de mes réserves, je me précipiterai sur la suite du Loup des Cordeliers, dont j'ai tout de même aimé le ton, bel hommage au roman-feuilleton, celui des Gaston Leroux, Allain & Souvestre, Eugène Sue... En espérant que, débarrassé des contraintes d'une mise en scène historique fastidieuse, Henri Loevenbruck saura embraser la suite des événements avec tout le feu dont il est capable.

ElliottSyndrome
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le 9 mars 2020

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