En bon fan de P. K. Dick je me suis jeté sur la nouvelle édition du "Maître du Haut Château" dotée d'une traduction revisitée et étoffée des deux premiers chapitres d'une suite qui, malheureusement, ne verra jamais le jour. Autant le dire tout de suite, ce roman est différent des oeuvres habituelles de Dick. Le style est différent, la construction est différente mais les réflexions sur la notion de réalité ainsi que l'obsession de l'auteur pour le conflit 39-45 et la Guerre Froide sont toujours d'actualité. Pour notre plus grand plaisir !

Déjà, qu'est-ce qu'une uchronie ?
Dans une fiction, cela se traduit par une réécriture de l'Histoire en modifiant un élément réel. Ici l'élément historique qui change est daté au 15 février 1933. G. Zangara a réussi à assassiner F.D. Roosevelt. Et les conséquences ne sont pas à prendre à la légère puisque les forces de l'Axe (Allemagnes, Italie et Japon) ont gagné la guerre en 1947. L'intrigue se déroule dans des Etats-Unis vaincus et partagés en 3 parties distinctes; cote Pacifique sous domination Japonaise, cote Atlantique sous le joug des Nazis et le Centre du pays considéré comme zone neutre.

Concernant les protagonistes, Dick nous invite à en découvrir une palette large allant de Frank Fink, artisan américain, à Mr Tagomi, un commercial japonnais, en passant par R. Childan, un antiquaire américain, ou encore un espion Nazi chargé d'infiltrer les hauts dignitaires asiatiques. Il y en aura d'autres et croyez moi qu'ils sont tous différents et pourvus de motivations tranchées et bien définies. Au début on apprend à découvrir leurs origines, leurs status sociaux, leurs places dans la hiérarchie mais également leurs aspirations dans la vie. Arrivé à la moitié du livre on sait tout d'eux et je gage que chaque lecteur aura ses petits préférés.

Enfin, notons la présence de deux ouvrages omniprésents dans "Le Maître du Haut Château" : Le Poids de la Sauterelle ET le Yi-King. Le 1er est un roman interdit en zone Nazie et écrit par H. Abendsen qui vit reclus dans son château. Il conte un déroulement ainsi qu'un dénouement différent de la 2nd Guerre Mondiale. Les Alliés y ont gagné la guerre et c'est le Royaume Uni qui se taille la part du lion. Quant au second livre, le Yi-King, c'est un livre chinois de divination datant du millénaire avant J-C (pas Van Damme hein ^^) et apporté en Occident par les Japonais; vainqueurs de la Guerre je le rappelle.

Voilà pour le background de ce roman.
Qu'en dire maintenant ? Eh bien les protagonistes vont mener leur existence tout en influant sur celle des autres et ce sans jamais qu'ils se rencontrent. C'est là toute l'ingéniosité de Dick. Nous noyer sous une masse de contextes et d'histoires mais ne jamais perdre de vue les fils conducteurs que sont les motivations des personnages et le rôle des deux livres phares du roman. Par ailleurs, la description de cet univers uchronique est grisante. Bourré de références réels et d'extrapolations cohérentes (volonté de conquête spatiale, modification des moeurs au sein de la population etc,...) l'univers se laisse découvrir avec un plaisir non feint.

C'est très plaisant de voir un R. Childan se plier en quatre pour servir du mieux qu'il peut ses clients asiatiques qui représentent pour lui des modèles de sagesse et de savoir-vivre. C'est original de sentir les Américains réduits au simple rang de suiveurs des maitres du monde et de les voir tenter de relever la tête après leur cuisante défaite lors du conflit mondial. C'est intéressant d'observer le comportement des vaincus ET celui des vainqueurs. De voir comment le monde a évolué géopolitiquement dans un contexte qui ne se représentera plus. C'est tout une réflexion nouvelle qui s'offre à nous à travers ce simple concept du "mais qu'est-ce qui se serait passé si...". Dick s'en donne à coeur joie et porté par des recherches historiques nourries, le résultat est bluffant.

Alors ? Sans faute pour ce roman qui est présenté comme la plus grande réussite littéraire de Dick ?
Tout dépendra de votre appréciation de la fin. La fin du "Maitre du Haut Château" pourra être considérée comme abrupte et malvenue de la part des non initiés du style de Dick quand d'autres crieront au génie. Personnellement j'ai beaucoup aimé la fin de ce livre. Dick y aborde avec la maitrise qu'on lui connait l'un de ses thèmes de prédilection : le réel et la perception du monde. Personnellement j'aurais apprécié quelques pages de plus sur les autres personnages présents avant le dernier chapitre mais c'est du chipotage.

La fin est laissée à votre appréciation et il faut garder à l'esprit qu'une suite était prévue. Non pas que la fin ne se suffise pas à elle même. Loin de là. C'est juste que lorsqu'on a apprécié une oeuvre comme j'ai apprécié ce livre, on aimerait en voir plus. En lire plus. Mais bon, trêve de blabla inutile. Si vous connaissez et appréciez Dick, si vous voulez vous replonger dans la Seconde Guerre Mondiale à travers d'innombrables références d'époques et/ou si vous vous êtes toujours demandés ce qui se serait passé si les Alliés avaient perdu la Guerre de 39-45; alors lisez ce livre. Vous ne le regretterez pas !
MarlBourreau
8
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Créée

le 17 janv. 2013

Modifiée

le 17 janv. 2013

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MarlBourreau

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