Tellement de choses à dire sur cet ouvrage que j'ai par ailleurs beaucoup apprécié. Mathieu Bock-Côté, souverainiste québecois, délivre une analyse complète de la situation politique et culturelle française depuis la naissance de l'idéologie libérale et marxiste, en passant par Mai 68 jusqu'à nos jours. Son objectif est de montrer comment la gauche, gardienne de l'idéologie multiculturaliste, est parvenue à se présenter comme le seul camps du bien en occident tout en rendant illégitime voire criminelle toute opinion contraire à sa doxa. Il est en effet sidérant de constater le consensus médiatique et politique en France sur des sujets sensibles comme l'immigration, le communautarisme, l'Islam, le relativisme culturel ou la sexualité que nos gouvernements successifs, avec l'appui des intellectuels principalement de gauche, ont imposé comme des évidences à la majorité de la population.



Qu'on le veuille ou non, la peur de devenir étranger chez soi hante notre époque



La démocratie en Europe, comme système politique représentatif de l'ensemble du démos (peuple), est un leurre. Plus les années passent plus on se rend compte de la supercherie. Car que ce soit les relais d'informations officiels (journaux, TV, radio), l'école, les institutions publiques ou l'ensemble de la classe politique et médiatique, tous communient sans complexe dans un vivre-ensemble délirant au péril de l'identité autochtone et sans considération pour les opinions divergentes classées systématiquement dans les fanges repoussantes du populisme bas du front. Depuis les années 60, la gauche est parvenue à s'arroger le droit de définir ce qui est politiquement correct et ce qui ne l'est pas. Tandis que la droite depuis 40 ans, s'échine docilement à rentrer dans le périmètre de respectabilité que la gauche lui a tracé. Toute sortie conservatrice, toute idée réfractaire à son idéologie est automatiquement criminalisée et rapportée à l'histoire tragique de la seconde guerre mondiale.



L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre : il est nu et condamné au désespoir.



Mathieu Bock-Côté s'interroge donc sur comment nous en sommes arrivés là. Pourquoi le multiculturalisme apparaît comme une évidence et non comme une option politique parmi d'autres ? Pourquoi sommes-nous "par défaut" (si vous m'autorisez cette expression) de gauche ? Qu'est ce que le conservatisme ? A t-il sa place en France au XXIème siècle ? Est-on nazi quand on s'érige contre l'utopie progressiste ? Tant de questions que beaucoup d'entre vous se posent et qui trouveront en partie des réponses dans cet ouvrage.



Entre le conservatisme et le fascisme, la différence serait davantage de degrés que de nature. La droite, en d'autres mots, serait toujours sur le point de céder à sa tentation pour l'extrême-droite.



Cependant, je ne résiste pas à vous délivrer quelques points centraux figurant dans ce livre :



  • La diversité étant une richesse primordiale, le multiculturalisme a modifié le sens de la modernité qui ne correspond plus à un équilibre entre héritage et progrès, entre mémoire et utopie. Seuls comptent le progrès, incompatible avec l'idée d'héritage, et l'utopie d'un monde sans frontières.


  • Il faut alors déconstruire le récit national pour libérer les mémoires minoritaires enfouies et nous jeter dans le post-modernisme. Ce qui conduit progressivement à la disqualification de la souveraineté populaire et à la judiciarisation du politique, en substituant les droits de l'homme à la souveraineté démocratique.


  • Il faut viser substantiellement comme symboliquement une égalité entre groupes victimisés et groupes dominants. Il faut accueillir la diversité et non pas vouloir l'assimiler. La logique du contractualisme doit l'emporter sur celle de l'héritage. L'éducation doit participer à ce mouvement en prônant la déconstruction plutôt que la transmission.


  • Le conservatisme est, au mieux, une fragilité psychologique, mais plus probablement une pathologie liée à des phobies diverses. Son point de vue est irrecevable. Le multiculturalisme, seul discours valable, est devenu une religion.


  • L'État-nation, les frontières et l'autorité sont désuets, l'Europe doit être le modèle de gouvernance d'une forme de communauté potentiellement mondialisée.



J'attire votre attention sur un aspect fondamental mis en lumière par Bock-Côté. Les régimes politiques qui posent comme projet de société une utopie fondée sur une légitimité soi-disant incontestable (égalitarisme absolu jusqu'à la folie, diversité & vivre-ensemble ou encore éradication de la culture dominante d'un pays au profit des minorités) finissent toujours par rencontrer une résistance. D'où l'utilisation de plus en plus fréquente de moyens totalitaires pour parvenir à leurs fins. Passons en revue quelques unes des méthodes employées à dessein : contrôle et surveillance de la population, endoctrinement dès le plus jeune âge, propagande médiatique intempestive, réquisitoire et censure des opinions divergentes avec recours fréquents aux tribunaux pour faire taire, auto-censure de la population et son cortège de réflexes pavloviens liés au conditionnement et à la répétition de slogans martelés ("pas d'amalgame", "Je suis Charlie", "migrants", "ouverture des frontières", "valeurs de la République" etc.), marginalisation sociale des personnes sensibles aux idées conservatrices car jugées rétrogrades pour ne pas dire malades, pratique d'une ingénierie sociale à peine cachée digne des plus grands régimes communistes, sous-représentativité des opposant idéologiques au vivre-ensemble dans tous les domaines (même si la tendance s'inverse tout doucement, je l'admets), sur-représentativité des communautés et enfin, dictature des minorités avec accommodements - complaisances ? - clientélistes des élus de la République de tous bords.



Le multiculturalisme est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.



Hélas, je ne suis pas en train de vous décrire l'URSS de Staline mais bel et bien la France en 2018. Pas la peine de pleurer, cela ne fait que commencer, croyez-moi ! Maintenant, il s'agit de s'interroger sur la dynamique d'ensemble. Où va t-on et comment ? Quel projet de société annonce ces bouleversements ethnoculturels ? Modernité et progrès, quelles limites ? L'enjeu est de taille puisque, même si cela peut paraître grandiloquent, il s'agit bien d'un basculement historique qui touche en plein cœur la civilisation occidentale. Baigné de bons sentiments, l'universalisme européen s'apparente de plus en plus à un échec. La Chine, les États-Unis, le Japon, les pays Arabo-musulmans, l'Inde, le Brésil, la Russie, bref, tous les pays puissants sur le plan économique ou politique se torchent bien volontiers le cul des valeurs et des droits universels. D'où la montée du "populisme" (mot péjoratif et méprisant pour caractériser les mouvements politiques opposés au vivre-ensemble et à l'immigration de masse) partout en Europe : Italie, France, Pologne, Hongrie, Royaume-Unis, Autriche, Suisse, Russie etc. Et bien sûr aux États-Unis avec l'élection de Trump.


Il y a beaucoup à dire mais je vais m'arrêter là. Pour conclure, Mathieu Bock-Côté livre une synthèse saisissante de la transformation idéologique opérée en France depuis Mai 68 en partant du logiciel marxiste, fondement de la pensée de gauche, au logiciel multiculturel adopté suite à l'échec du communisme à travers le monde et à la chute des empires coloniaux. En clair, la gauche a délaissé l'ouvrier (trop con pour renverser le capitalisme et devenu raciste en se "droitisant") pour la figure de l'immigré, les minorités sexuelles ou, dans un autre registre, les femmes : en fait tout ce qui n'est pas un homme blanc hétérosexuel, c'est plus simple ! Seul regret, Bock-Côté constate, étrille, analyse brillamment mais ne formule aucune solution. Une fois la dernière page tournée, retour à la case départ. Dommage. Très bon livre au demeurant. Je recommande fortement.

silaxe
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le 22 mai 2018

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