Il n'y a pas que les murs que ce livre transcende

"Rien n'est plus déprimant que le rôle du confident pauvre. Chacun sait, par exemple, que le vrai drame, dans la tragédie classique, est celui des confidents. C'est pitié de voir ces braves gens, à qui il n'arrive jamais rien, écouter avec une résignation courtoise un raseur complaisant à ses propres aventures."

" Parlez-moi des riches. Tous assassins, tueurs d'enfants, voilà ce que c'est. Marchez, la guerre, ça durera pas toujours. Quand les Allemands ils partiront, on aura des comptes à régler. Tous ceux qui auront la gueule fraîche et le ventre sur la ceinture, on aura deux mots à leur dire. Pour chacun de mes gosses qu'ils auront assassinés, il m'en faudra dix. A coups de galoche dans la gueule, que je les tuerai, et je mettrai du temps, je veux qu'ils souffrent."

Voilà ce que c'est "Le Passe-muraille" : un grand écart entre des moments de poésie lucide sur le quotidien, et des moments de révoltes violentes contre les injustices. On saute du merveilleux (les pouvoirs de Dutilleul ou de Sabine) au quotidien dans toute sa bassesse (viol, pauvreté, violence domestique, 2nd guerre mondiale). Dans un style sans fioritures, parfaitement net et souvent très drôle, Marcel Aymé nous étonne toujours plus.
Et pas simplement parce que le livre date de 1943, comme j'ai pu le voir avec stupeur dans une critique. Évidement qu'il date des années de guerre : elle est une menace omniprésente sur tout le recueil, témoignage de quotidiens de privation, de peur, d'occupation, d'espoirs, de haine de ceux qui ont déclenché cette guerre, de doute quant à sa durée... Évidement que le discours est violent contre les fonctionnaires qui incarnaient l'injustice pour les pauvres gens. Évidement que c'est drôle et bien écrit ! Comme si ce qui a été écrit avant 1990 n'est ni drôle, ni impliqué, ni agréable à lire...

On retrouve avec plaisir des leitmotiv (une haine amusante contre les Académiciens), des variations de styles (visibles dans les extraits entre un passage de narration omnisciente et un bout de dialogue), des jeux de mots et des termes francisés qui font tiquer (chorte, blaquaoute) caractéristiques de ces grands auteurs avec lesquels on aime partager un moment de complicité (je pense par exemple à Raymond Queneau dont je ne me lasserai jamais).

Bref on achète ce bouquin au détour d'une librairie d'occasion et on pousse les autres livres de sa bibliothèque pour lui donner une place de choix après une lecture qui nous a complètement charmé.

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le 30 août 2012

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Kogepan

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