Le quatrième mur prend aux tripes à plus d’un titre.

Il reprend et amplifie avec brio la puissance tragique d’Antigone d’Anouilh (note : à relire !) en la mêlant avec un conflit comme l’humanité sait si bien les faire. La tragédie antique, réécrite lors de la 2nde tragédie mondiale et réadaptée pour une énième tragédie contemporaine.

Mais si toute la force et le désespoir d’Antigone de 1944 et du Liban de 1982 se mêlent aussi bien il y a une bonne raison. Le quatrième mur est le premier livre de Sorj Chalandon que je lis mais je ne m’attendais pas à une écriture pareille. Dès les premières lignes, c’est rythmé comme rarement, rimé comme peu savent le faire, poétique parfois et toujours fort.

En plus d’être magnifiquement écrit, c’est extrêmement documenté (et donc beaucoup plus réel). Au risque de parfois se perdre un peu dans tous ces factions, religions, camps,… mais rien de bien méchant. D’autant que l’essentiel est là, cette ambiance de ruines, de mort et d’impression de gigantesque gâchis que seul le talent de l’auteur permet de rendre presque palpable. Tous ces protagonistes du conflit proposent aussi, chacun leur tour, leur compréhension d’Antigone. Ça aussi, c’est assez savoureux. Et donne à Antigone une dimension pleinement universelle.

Sorj Chalandon va à l’essentiel tout en s’attardant sur ses personnages en mêlant leurs noms de personnages et d’acteurs, et surtout en livrant du vrai, de l’authentique. Même le narrateur, avec sa petite vie d’étudiant et son expérience de militant en poche, apporte sa contribution à plus d’un niveau et là aussi dès le début du roman.

Car celui qui pensait être un héros des temps modernes luttant contre la vilaine menace fasciste se voit ouvrir les yeux par son mentor/frère/père (qui lui apprend notamment que les mots ont un sens et rien que ça, ce n’est pas rien). C’est ce qui frappe, entre autres, dans le quatrième mur. Tous ces moments de justesse, de vérité délivrés simplement et non comme une morale à deux balles.

Ce style puissant permet d’espérer ou désespérer avec le narrateur, de le voir se noyer totalement dans ce conflit au point de reléguer au second plan sa famille ou celui qui l’a plongé dans tout ça pour finalement se le prendre en pleine face ce mur.
L’intelligence de Sorj Chalandon permet aussi d’éviter une réflexion simpliste sur le théâtre unissant les gentils peuples contre la méchante guerre.

Bizarrement (ou pas), ce roman m’a remis en tête Incendies de Denis Villeneuve. Une œuvre universelle piochant dans la tragédie antique pour en éclairer une plus moderne.
MrAmeni
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le 20 sept. 2014

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