Une formidable lecture qui donne envie d'enfourcher un destrier et de brandir une épée

Initialement publié il y a tout juste dix ans dans la collection Lunes d'Encre puis réédité en poche en 2009, "Le royaume blessé" a mis longtemps à attirer mon attention. Mais quelle excellente surprise ce fut ! À vrai dire, mon dernier coup de cœur comparable en fantasy date de ma découverte de Jean-Philippe Jaworski, il y a... oh, déjà sept ans. Mais là où ce dernier a su toucher un lectorat très vaste, "Le royaume blessé" semble au contraire n'avoir connu qu'un succès d'estime, cantonné au noyau dur des amateurs du genre. Dans sa capacité à raconter une histoire passionnante comme dans l'excellence du style, Laurent Kloetzer n'a pourtant pas grand-chose à envier à l'auteur de "Gagner la guerre", et mériterait tout autant, à mon sens, de recevoir les lauriers du public.


Ce bon gros pavé de près de 800 pages au format poche fut donc pour moi une lecture tout à fait exaltante, et pourtant ce n'était pas gagné d'avance. On a là un univers d'heroic-fantasy qui peut paraître sans imagination, où l'on reconnaît dans chaque élément un calque de notre propre monde, de notre propre réalité historique, légèrement travestis. Les premiers chapitres se passent ainsi à relater au lecteur les conquêtes d'Alexandre le Grand en ne changeant quasiment rien d'autre que les noms... C'est le genre de "facilité" qui, en général, est pour moi rédhibitoire. Pourtant ici, miracle ! tout s'agence à la perfection, chaque page est un plaisir, et c'est sans doute l'un des plus grands mérites de l'auteur que d'avoir su ainsi obtenir un résultat excellent avec des ingrédients somme toute assez banals.


Car Laurent Kloetzer n'a évidemment pas eu pour ambition de "révolutionner le genre", pour reprendre un poncif de la critique littéraire. On est ici dans une fantasy "à l'ancienne" assumée comme telle, inspirée par Howard et Leiber. Conséquence logique, il ne faudra pas s'offusquer de voir les héros piller et tuer sans états d'âme, et les femmes être réduites au rôle d'objets sexuels : dans l'univers âpre et barbare du "Royaume blessé", les personnages ont autre chose à faire qu'incarner les belles vertus humanistes de notre siècle.


Le choix le plus fort de l'auteur, celui qui structure tout le roman et qui, sans doute, conditionne sa réussite, est d'avoir confié la responsabilité de la narration à un homme dont on ne sait pas grand-chose, et dont la quête consiste à recueillir une foule de témoignages sur le héros du roman : Eylir ap'Callaghan, dont la vie, les exploits et les échecs seront ainsi révélés au fil de l'enquête minutieuse menée par le narrateur... avec tout ce que cela implique de biais, d'approximations, voire de mensonges. Associé à la plume fort évocatrice de l'auteur, cet aspect volontairement nébuleux comme l'est tout récit légendaire — quel mythe ne connaît pas plusieurs versions, parfois contradictoires ? — concourt à donner au roman une ambiance tout à fait particulière ; si l'on peut parler de souffle épique, ce ne sera pas tant dans le sens d'une accumulation de grandes scènes d'action et de combats, que dans le sentiment d'avoir écouté un barde chanter les aventures d'authentiques héros des temps anciens...


Au final, voilà une formidable lecture qui donne envie d'enfourcher un destrier et de brandir une épée en hurlant "Callaghan ! Callaghan !"... ou bien, plus prosaïquement, d'aller découvrir sans tarder les autres œuvres de l'auteur : "La voie du cygne", situé dans le même univers mais dont l'atmosphère semble tout à fait différente de celle du "Royaume blessé", me fait déjà de l'œil...

Oliboile
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le 2 sept. 2017

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