La comparaison du style de Tristan Egolf avec celui de Steinbeck ou de Faulkner pourrait paraître présomptueuse a priori, mais une fois refermée l'histoire du périple de John Kaltenbrunner dans Le Seigneur des porcheries, elle se révèle relativement fondée. Comme une réactualisation du regard concentré sur la description des classes populaires américaines, avec toutefois ici une composante acerbe, virulente et vindicative que je n'avais jamais ressentie comme telle chez les deux autres auteurs. En suivant le parcours du fils Kaltenbrunner, Egolf dessine un portrait complexe, diversifié, et très peu porté sur le compromis, celui du protagoniste et de son incroyable mauvaise chance qui conduira à plusieurs reprises à des explosions de rage particulièrement violentes (et jouissives, du point de vue de la lecture), mais aussi le portrait de cette ville de Baker, petite bourgade désenchantée perdue au milieu de la Corn Belt.


Du point de vue du style, si on peut instantanément et naturellement apprécier la qualité de la description des lieux et des situations (que ce soit l'incendie de la maison d'individus qui voulaient du mal à sa mère, le conflit qui l'opposa aux harpies de l'église méthodiste, ou bien sûr ce final complètement dingue où un match de basket s'est peu à peu transformé en apocalypse générale), quelques effets de style répétitifs peuvent légèrement déranger, comme par exemple cette façon d'annoncer la colère à venir dans un sens du teasing un peu forcé, avec en substance des annonces du type "mais on n'avait jamais vu ce qui s'apprêtait à arriver". Des effets de manche qui virent presque au systématique et qui deviennent un peu désagréables quand on a eu la malchance de se focaliser dessus. Mais rien de fondamentalement préjudiciable, ceci dit, au regard de la qualité du contenu.


Le plus beau passage, au sens propre, c'est sans doute lorsque John rencontrera le groupe travaillant dans l'entreprise de nettoyage des ordures de Baker, souvent décrits comme des rebuts de la société. C'est là que le sous-titre anglais trouve tout son sens : "tuer le veau gras et armer les justes". La grève dans laquelle s'engagera le noyau dur réuni autour de John est un moment magnifique, dans l'impact qu'elle aura sur la communauté, et assez horrible dans les conséquences à court et long termes. Le final conjuguera tous les vices de cette ville très conservatrice perdue au fin fond des États-Unis, pétrie de racisme, d'homophobie, de bigoterie, d'alcoolisme, et bien sûr de violence. L'histoire d'une vengeance et surtout d'une colère, celle de l'ennemi public n°1 malgré lui en quelque sorte, exclu parmi les exclus au sein d'une société cruelle, en dépit de son intelligence et de sa bonne volonté.


Difficile de ne pas être profondément ému par un tel récit, au terme du voyage, à la fin du cataclysme.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Seigneur-des-porcheries-de-Tristan-Egolf-1998

Morrinson
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le 1 févr. 2019

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