A défaut de Russes, parcourons les montagnes naines

Replonger au Vieux Royaume (mais pas que), se pelotonner dans le style ample de Jaworski et cavaler au rythme de l'Histoire de ce monde est bien sûr un plaisir. Il en faut bien moins pour m'acheter.

On lui connaît et reconnaît des qualités magistrales déjà habituelles : le style, le vocabulaire, la force d'évocation. Or, en bon bâtisseur, Jean-Philippe Jaworski amène avec Le Sentiment du Fer un surplus de construction à sa chanson. En cinq nouvelles qui n'ont pourtant ni personnages, ni lieux en commun, il tisse son Histoire, une vingtaine d'années de guerre civile voire internationale. Il n'y a pas à dire, l'écrivain sait où il va, et parvient à faire comprendre les enjeux qui dépassent la singularité des nouvelles prises séparément.

Cependant, et ces nombreuses qualités bien pesées, Le Sentiment du Fer souffre du mal habituel des recueils de nouvelles : il est inégal. Oui, il admet une vue d'ensemble différente, mais c'est justement quand on regarde chaque nouvelle pour ce qu'elle est que le flamboiement s'atténue un peu.

Le Sentiment du Fer, la nouvelle éponyme, ouvre le bal comme un feu d'artifice. Ca pétille, ça explose dans tous les sens, c'est exactement ce pour quoi on a acheté ce nouveau recueil de l'auteur : un héros truculent taillé dans la même veine que Benvenutto, ou dans la veine de la roche voisine, avec l'argot local, quelques cascades, des trames chez les puissants... Bien sûr qu'on aime. Premier bémol cependant : Benvenutto semble justement un peu trop proche.

L'elfe et les égorgeurs m'a laissé de marbre. Annoeth a du charisme, c'est un fait - il en avait déjà dans les deux courtes apparitions qu'il faisait dans Le conte de Suzelle -, mais je n'ai pas réussi à y croire. Passée la pirouette du conte, ses grandes paroles m'ont parues creuses. Un coup dans l'eau.

Profanation en revanche est le bijou du recueil : un détrousseur de cadavres essaie de plaider sa bonne foi devant les nécrophores du Désséché. Pleine d'humour, la nouvelle arrive pourtant à installer une ambiance un peu poisseuse et une fin superbe.

Désolation est la plus longue. Pas la meilleure. Alors qu'une armée de gobelins empêche toute communication avec la région voisine, le thane nain et un bataillon restreint tentent d'aller prêter main forte à leurs frères en passant par la montagne, où dort un terrible dragon.
Ne nous trompons pas : l'action est d'excellente facture, les batailles un peu fourbes et leur confusion bien retranscrites, les relations entre les seigneurs nains et les lètes (bonjour dictionnaire) gnomes correctes. Mais j'avais l'impression de relire Tolkien (en mieux écrit). Il s'agit clairement d'un hommage. On pourrait donc s'accorder à dire que "rooooh, ben c'est bon si c'est un hommage !", sauf que ça fait soixante ans que tous les écrivains de fantasy réécrivent chacun en partie l'oeuvre du fondateur. Il n'y a donc plus la moindre surprise - et ce n'est pas le maigre twist final, assez mal révélé car pas du tout mis en place, qui y changera quoi que ce soit.

Enfin, La troisième hypostase, nous chuchote encore une fois les fracas des batailles, murmure les vilenies de la guerre, mais de façon tamisée, de loin, dans la solitude, au moment où les elfes se rendent compte qu'ils ne pourront pas rester éternellement étrangers à la guerre qui ravage Léomance. Avec Lusinga, on retrouve dans le rôle principal une ennemie de Benvenutto. La nouvelle fait trembler le monde de magie, et surtout se poétise dans son évocation de ladite magie et des changements qu'elle opère. En tout cas, la nouvelle clôt avec un certain brio ce retour au Vieux Royaume - et plus car affinités.

On gratifiera donc Jaworski et son Sentiment du Fer d'un petit 3/5 au final, rehaussé cependant par les qualités indéniables du joaillier de la langue.