Rares sont les livres qui portent aussi bien leur nom que celui-ci. Le traître et le néant de Gérard Davet et Fabrice Lhomme représente à merveille ce qu'a été et ce qu'est le Président de la République Française actuel, à savoir un félon prêt à toutes les compromissions pour accéder au pouvoir, et en même temps, pour reprendre le célèbre mot macronien, un porteur de vide absolu. Comme le capitaine d'un bateau ivre sans boussole ni gouvernail, Macron navigue à vue en ne se laissant porter, docilement, que par les différents vents du moment, en bon opportuniste vicelard qu'il est, et sans jamais imaginer suivre une étoile qui semble pour lui inconnue : l'intérêt général. Inspirés, les deux journalistes qui avaient déjà chroniqué les règnes de Nicolas Sarkozy et de François Hollande nous livrent une grande enquête dont ils ont le secret, et qui consiste à tenter de comprendre ce qu'est le macronisme, d'en définir les contours et les secrets. Et autant dire qu'il semble plus facile de capturer une fumée évanescente avec les doigts que de comprendre l'idéologie du Président, si tenté qu'il en ait une autre que son plus simple pragmatisme machiavélien. C'est en interrogeant les proches et anciens proches d'Emmanuel Macron que Davet et Lhomme procèdent à leur enquête, par cercle concentrique et en se resserrant petit à petit autour de leur proie, ne laissant à la fin de leur ouvrage pour leur lecteur qu'un très laid descriptif de ce qu'est la Macronie, pays fictif et absurde en passe de remplacer la France. A la fois brillant et hors sol, libéral et interventionniste forcené, social-démocrate et conservateur sécuritaire, Emmanuel Macron est sans doute tout et le contraire de tout, là et nulle part à la fois. Grand prestidigitateur de l'extrême, capable de tous les tours de passe-passe savants et bluffants, le Président est le plus grand vaporisateur à nihilisme qu'ait connu le monde politique français depuis très longtemps. L'homme du Rien. Celui qui, tout petit, se sent pourtant tellement grand, est quoiqu'il en soit, quoiqu'il en coûte, le chef de la sixième puissance mondiale. Un pays sur lequel il règne sans partage et qui subit chaque jour l'effet de son incroyable amateurisme ainsi que, et c'est peut être pire, son immense absence de convictions. Retour sur un quinquennat terrifiant de vacuité.


L'homme hors-sol : Emmanuel le Banquier.


Emmanuel Macron est un homme qui ne s'est pas fait tout seul. D'une famille bourgeoise d'Amiens, vraisemblablement fâché avec ses parents, il épouse une autre bourgeoise, une Trogneux, la dénommée Brigitte. Bien connu pour ses fraques avec sa professeure de française de vingt-cinq ans son aînée, il l'est moins pour son parcours de vie de privilégié parmi les privilégiés. Après une scolarité exemplaire, bien qu'il échoue par ailleurs au concours de Normal Sup, Emmanuel Macron sort de l'ENA et intègre le corps très recherché de l'Inspection Générale des Finances. D'un passé chevènementiste, il est pourtant repéré par des libéraux et uniquement par eux. Protégé de Jean-Pierre Jouyet, il est surtout repéré par le sulfureux Jacques Attali dont il est le rapporteur adjoint pour la commission "Attali". Cette commission est bien connue pour avoir inspiré la politique ordolibérale de Nicolas Sarkozy et pour la faiblesse de ses vues. Qu'importe, alors qu'il fricote avec le Parti Socialiste, et qu'il pense notamment à briguer la députation au Touquet, il sort de la fonction publique, ou plutôt se met en disponibilité, pour travailler chez Rothschild and Cie, recommandé par son mentor Jacques Attali. Très vite aux plus hautes fonctions dans l'entreprise, le Mozart de la Finance négocie notamment un contrat de fusion-acquisition entre Nestlé et la branche lactée de Pfizer. Evaluée à presque 9 milliards d'euros, la transaction le rend millionnaire. Cet état de fait est peu connu par les Français, qui ignorent ce degré de fortune, et explique sans doute la raison pour laquelle il ne connaît pas les Français de la base. Plus que cela, sa richesse est une arme politique. Il est en cela conseillé par un autre homme très sulfureux, le dénommé Alain Minc, avec qui il entretient une relation trouble dans le monde des affaires. C'est ce dernier qui lui aurait conseillé, pour faire de la politique, de devenir riche. Qu'importe, à partir de ce moment là, Emmanuel Macron est bien décidé à faire son nid dans le monde politique et économique français.


La relation à François Hollande : entre pari et coup de bluff


Il faut se replacer dans le contexte de l'année 2011. Nicolas Sarkozy est haï par une bonne partie des Français et s'il doit avoir un successeur, celui-là se trouve très probablement au sein du Parti Socialiste. Grand favori, Dominique Strauss-Kahn ne s'est pas encore pris les pieds dans son membre et François Hollande n'est guère favori dans les sondages. Pourtant, et c'est sans doute là un choix très mystérieux, Emmanuel Macron travaille pour le corrézien. Alors que sa formation de banquier d'affaires aurait du très logiquement l'amener dans l'escarcelle de DSK, il s'engage pour un homme dont le charisme d'huitre et la grande faiblesse idéologique ne présagent à l'époque rien de bon pour l'avenir. Et pourtant, et c'est sans doute là une qualité d'intuition hors du commun, Emmanuel Macron a misé juste. Après la catastrophe du Sofitel et une primaire surprenante, François Hollande est élu Président de la République en 2012. Il nomme immédiatement Emmanuel Macron Secrétaire Général Adjoint de l'Elysée. Carrière étonnante pour un financier qui avait quelques années auparavant appelé de ses vœux une fusion entre les candidatures de Bayrou et de Royal pour les élections présidentielles de 2007 et qui avait prôné pour Hollande, et sans succès, une politique économique très violente. Pour le candidat "ennemi de la Finance", cela est encore un choix plus que surprenant. Certains mettent en exergue le fait qu'Emmanuel Macron est porteur d'un charisme qui permet de "charmer les vieux", le tout avec un regard bleu acier et un sourire carnassier. Est-ce bien suffisant pour expliquer son succès ? Quoiqu'il en soit, la relation entre Hollande et Macron est très fusionnelle. La fusion fonctionne nettement moins bien avec les autres membres du Gouvernement.


Parce que Macron agace. Il joue aussi très nettement contre son camp. Les débuts de la traitrise, sans doute. Soutenu par les puissances de l'argent, Macron suggère à Hollande des idées plus folles les unes que les autres, telles que le passage aux 37 heures. Il est le véritable instigateur de l'horrible CICE, crédit d'impôt offert aux grandes entreprises et qui caractérise le premier écart du quinquennat Hollande, première trahison à son programme de gauche d'une longue liste. Alors qu'Arnaud Montebourg est Ministre de l'Economie, Macron se fait l'un des artisans de la vente d'Alstom à General Electrics, même s'il feint de ne pas en être à l'origine. Bref, Macron est la caution libérale de Hollande qui va s'écarter de plus en plus de la gauche pour aller vers la droite. Cette droitisation prend toute sa consistance quand Hollande nomme Valls Premier Ministre. Alors que Macron est pressenti comme un potentiel Ministre du Budget, ambition notamment portée par Valls, Hollande le refuse. Macron serait trop hors-sol et surtout, n'a aucun mandat électif. Il faut comprendre que pour Hollande, un politique digne de ce nom doit avoir un certain cursus honorum, et être passé par certaines étapes fondamentales pour briguer un Ministère : être élu local d'abord, Député ensuite. Pourtant, le 26 août 2014, Hollande se résout à nommer Macron Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique. C'est à ce moment là que la chose d'Hollande va devenir indépendante. En effet, Macron reçoit du beau monde, prépare sa sortie et surtout se fait un beau réseau, qu'il reçoit généreusement à Bercy avec son épouse. Membres de la caste politique et financière, c'est aussi les people qui sont invités et qui deviennent les hôtes de marque de Macron.


Le coup de couteau dans le dos donné à Hollande ne va pas tarder à se faire sentir quand les Golden Boys de Macron commencent à brainstormer, pour reprendre leur vocabulaire ridicule, et à penser à la création d'un parti tout à la cause de Macron. Alors que tout le monde sent le coup fourré arriver, notamment Valls, Hollande réfute de le voir. Il refuse même de le nommer Premier Ministre, ce qui aurait pu lui donner le baiser de la mort. Quoiqu'il en soit, Macron charbonne et En Marche voit le jour secrètement. L'idée est simple : allier les deux bourgeoisies, les deux franges "raisonnables" et européennes de l'électorat. En d'autres termes, il faut allier les classes favorisées de gauche et les classes favorisées de droite, laissant les "radicaux" à la marge de la société. Cette alliance des riches et des classes moyennes supérieures n'est pas une idée nouvelle. Déjà sous Louis-Philippe, on glosait de l'opportunité d'allier les riches républicains avec les riches royalistes orléanistes. Giscard lui-même avait réussi cet objectif. Bayrou l'avait tenté en 2007. Bref, loin d'être nouvelle, l'idée est vue et revue. Elle fait pourtant son chemin et Macron quitte le navire gouvernemental en 2016. La traîtrise est consommée. Hollande n'en croit pas ses yeux. Contraint de se retirer, et Fillon étant éclaboussé par les affaires, l'alliance des sociaux-libéraux et des conservateurs libertaires se fait petit à petit jour : le miracle Macron est advenu. Il est élu Président de la République en 2017. Le traître est au pouvoir.


Macron Président ou le règne du vide


Ainsi donc, un Président libéral libertaire est élu en 2017. Macron a surtout bénéficié d'un sacré coup de chance. Si ses capacités charismatiques sont sans doute réelles, alliées à une capacité de travail et d'absence de sommeil impressionnante, elles ne suffisent pas à expliquer l'exploit. Il faut d'abord remercier François Hollande, qui ne s'est pas représenté à l'élection, lui laissant un électoral, certes mince, de gauche libérale. Il faut remercier Benoît Hamon, empêchant la candidature de Valls, et ne se retirant pas, faisant de Mélenchon un candidat au deuxième tour raté. Il faut remercier également François Fillon qui, gagnant surprise de la primaire, a empêché la candidature d'Alain Juppé puis a fait fuir les bourgeois libéraux de droite après l'émergence d'un programme choc et d'affaires louches. Il faut remercier François Bayrou qui s'est désisté pour lui contre des promesses non tenues (Bayrou devait avoir Matignon et un quart des investitures de l'Assemblée Nationale, encore un cocu macronifié...). Il faut également remercier Marine Le Pen et son inculture crasse qui fait que même une chaise aurait pu gagner face à elle au second tour. Bref, il s'agit là d'un sacré coup de chance. Macron va profiter des institutions de la Vème République et obtenir une majorité large à l'Assemblée Nationale avec un parti, la République en Marche, fait d'opportunistes et de cyniques prêts à tout lécher pour un poste. Mais s'il a gagné, ce n'est certainement pas ni pour un programme, inexistant, ni pour une idéologie, inconnue au bataillon.


A partir de ce moment là, et alors que la majorité présidentielle est composée d'anciens sociaux-démocrates, Macron nomme des hommes de droite au gouvernement. D'abord Edouard Philippe et ses conseillers, ensuite Jean Castex. Il faut ensuite voir le ballet des énergumènes : Le Maire, Darmanin, Dupont-Moretti, Bachelot, etc ... Chaque crise est aussi l'occasion de démontrer que Macron ne règne que par le vide : les Gilets Jaunes, l'Affaire Benalla, les retraites, le Covid-19. Macron et ses conseillers, Macron et ses ministres, Macron et ses Préfets, Macron et ses directeurs d'ARS, tout est toujours flou. Emmanuel Macron semble arbitrer toujours en fonction des circonstances d'opportunité et certainement pas d'une quelconque colonne vertébrale. Arrivé au pouvoir par la traîtrise et par un coup de chance, il ne préside que comme un amateur. Et pour cause, il n'a jamais eu de mandat électif, il n'a jamais connu de Français extérieurs à son milieu et il ne voit le monde que par les yeux de conseillers technocratiques et bien nés. Et quand Davet et Lhomme demandent à ses proches ce que signifie le macronisme, personne n'est en mesure de le définir. Pire, ils admettent que sans Macron, cela n'existerait pas. Un simple agrégat de positions tactiques et de classes. Un pétard mouillé.

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le 27 nov. 2021

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