Le zéro et l'infini est l'histoire de l'emprisonnement de Roubachof, victime politique des grandes purges soviétiques de 36-37.
La portée intemporelle de cette oeuvre ne tient pas tant à son caractère de réquisitoire contre le régime communiste mais bien plutôt à la mise en lumière de l'implacable logique communiste qui légitime la supression de toute voix dissidente au nom de la réalisation de l'Histoire et l'abandon d'une morale qui ne peut être qu'un frein à l'action. La force du roman est donc de placer le lecteur dans une situation extrêmement déstabilisante, où sa moralité rejette de prime abord les atrocités produites par le communisme soviétique avant d'être séduit ou tout du moins interloqué par l'apparente rationnalité qui structure le discours communiste et qui légitime ces sacrifices.
En effet, comment un simple individu pourrait prétendre être plus éclairé que le Parti -et donc que le numéro 1 selon la relation d'identité qui lie le Parti et sa tête d'une part, le Parti et le peuple d'autre part et in fine le numéro 1 et le peuple- qui connait le sens de l'Histoire, la visée à long terme du projet communiste soviétique? Partant, toute voix dissidente est au mieux inutile, au pire nocive, puisque suivre cet avis divergent impliquerait de suivre une voie erronée et aurait donc des répercussions néfastes pour les générations suivantes. Ce qui importe, ce n'est pas d'être de bonne foi mais d'avoir raison eû égard à l'Histoire. La morale devient donc elle aussi un fardeau inutile en tant que frein aux nécessaires sacrifices exigés par la réalisation de l'Histoire.

Roubachof, intellectuel éclairé, avait tenu un rôle de premier plan lors de la Révolution et de ce fait était un des héros du régime communiste russe. Cependant, Roubachof développa un avis de plus en plus critique sur le régime, accentué par les premières purges au cours desquelles plusieurs protagonistes des premières heures de la Révolution disparaissent. Il n'est jamais écrit que Roubachof a véritablement participé à des groupes d'opposition. Accusé de conspiration contre le régime et de tentative d'assassinat du numéro 1, il semblerait plutôt que Roubachof, bien que travaillé par le doute et en proie à des dilemmes moraux, ait servilement sacrifié tous ceux qui étaient considérés par le régime communiste comme des germes subversifs et des dissidents en acte ou en puissance. L'ironie du sort de Roubachof, c'est que pour être cohérent avec les maximes qui ont guidées son existence, "pour rendre un dernier service au Parti" et lui permettre de poursuivre sa marche en avant en trompant le peuple, il va mentir à son procès et se reconnaitre coupable de crimes qu'il n'a pas commis et ainsi subir, outre un trépas inévitable, une humiliation publique.
Roubachof sert au Parti de victime émissaire qui purge le peuple de ses mauvaises pulsions et offre un exemple édifiant de la monstruosité de l'opposition qui essaie d'empêcher la réalisation du grand dessein communiste. Comme lui, tous les révolutionnaires de la première heure sont peu à peu éliminés car, cultivés et à l'esprit trop peu malléable à la propagande, ils sont des foyers subversifs en puissance. Ainsi, Ivanof, un des frères d'armes de Roubachof lors de la Révolution qui était en charge de son interrogatoire sera éliminé au cours de la période de détention de Roubachof pour avoir émis des opinions cyniques sur la machine communiste. Gletkin, qui remplace Ivanof pour mener l'interrogatoire du héros, est l'un de ces automates grâce à qui le projet communiste pourra être mené à son terme efficacement et sans contestation. Totalement amoral, sa mission n'est pas de défendre des convictions, des valeurs mais "d'être utile sans vanité"...
pglac
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le 13 nov. 2012

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