Dans la campagne anglaise du XIXe siècle, Rhoda Brook élève seule son fils de dix ans. Elle travaille dans une laiterie, où son métier consiste à traire les vaches, mais elle vit retirée du monde. En grande partie pour fuir les regards des autres. Car tout le monde sait qui est le père de son garçon. Il s'agit de Mr. Lodge, le grand propriétaire à qui appartiennent les terres et les vaches. Même si ce n'est pas dit clairement (le texte est rempli de non-dits qui, paradoxalement, donnent aux personnages encore plus de profondeurs), on sent la grande souffrance d'une femme qui fut sûrement trop naïve et qui a dû croire que le riche propriétaire ferait d'elle sa femme.
Ces derniers temps, le regards des autres femmes est encore plus insistant. On dit que Lodge va revenir dans son domaine avec sa femme, une jeune femme de la ville. Alors, vite, Rhoda va dépêcher son fils, plusieurs fois, pour qu'il aille espionner cette Gertrude. Là aussi, on sent la pointe de jalousie qui n'est pas clairement manifestée mais qui transparaît dans les ordres que Rhoda donne à son fils.
Mais si Rhoda vit éloignée des autres, c'est aussi (et surtout ?) à cause de rumeurs la concernant. Certains affirment qu'elle est un peu sorcière...


Cette très belle nouvelle est ma première rencontre avec Thomas Hardy. Avec une écriture d'une grande précision mais laissant beaucoup de ce zones d'ombre qui favorisent l'imaginaire des lecteurs, Hardy dresse un portrait sans concession de la mentalité rurale britannique. L'auteur ne cherche pas à critiquer ouvertement et frontalement, mais sa description de la vie quotidienne à la campagne nous montre un système qu'on pourrait qualifier de féodal avec une quasi toute-puissance du propriétaire terrien. De plus, les rumeurs et les confrontations entre laitières mettent en avant toutes ces bassesses habituelles.
L'intervention du fantastique est très bien amené. Le surnaturel ne se manifeste pas clairement, et surtout il n'est pas une fin en soi. Le but de Hardy n'est pas d'écrire une nouvelle fantastique, mais d'employer l'extraordinaire comme un moyen d'atteindre la psychologie de ses personnages.
Car l'essentiel de ce texte, c'est le portrait de Rhoda, essentiellement à travers le paradoxe qui la lit à Gertrude. Dans le même temps, elle la déteste et se prend d'amitié pour elle. Gertrude est, pour Rhoda, à la fois celle qui lui prend son homme et la seule qui lui adresse la parole.
L'ensemble donne un texte remarquable, très bien écrit. je pense que je continuerai à approfondir ma découverte de Thomas Hardy.

SanFelice
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le 3 juin 2015

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