Pas certain que l'office de tourisme local soit d'accord avec cette assertion mais les livres de Vladimir Lortchenkov contribuent pourtant à faire découvrir la méconnue Moldavie. De là à en donner une image positive, c'est autre chose, mais le sens de l'humour, du côté de Chisinau, fait assurément partie des vertus d'un peuple qui fait face à un contexte économique extrêmement difficile. 3 romans de Vladimir Lortchenkov (il en a écrit 14, le bougre) ont déjà été traduits en français et d'autres suivront, si le succès est au rendez-vous. Le dernier amour du lieutenant Petrescu est préfacé par l'ukrainien Andreï Kourkov lequel, soit dit en passant, a commis dans le passé un livre dont le titre est voisin. Les deux écrivains, russophones, ont pas mal de points en commun, à commencer par celui d'épingler les vices et défauts de leur propre peuple, mais Lortchenkov est un peu plus radical que son compère avec une imagination qui ne s'impose pas de limites. Jusqu'à maintenant, cela a donné deux livres croustillants mais dont la folie s'éparpillait dans une narration trop éparpillée et désordonnée (Des mille et une façons de quitter la Moldavie, Camp de gitans). Le dernier lieutenant Petrescu, pas moins dingue que ses prédécesseurs, a pour qualité supplémentaire de savoir digresser sans pour autant perdre de vue sa trame, bien que celle-ci menace à tout moment de se transformer en grand n'importe quoi. Qu'est-ce qui fait la différence ? Sans doute l'attachement de l'auteur à ses personnages, notamment le flic (Petrescu) mais aussi l'écrivain ou le chef des services secrets. Des êtres faibles et soumis à la tentation (alcool, sexe et violence) mais avant tout terriblement humains. Un mot sur l'intrigue : une invraisemblable histoire où un cuisinier afghan, employé de shawarma prénommé Oussama, est soupçonné d'être le véritable Ben Laden (l'action se passe quelque temps avant sa capture) réfugié en Moldavie. En résulte une cascade d'aventures complètement irréelles, loufoques et absurdes. C'est forcément l'aspect de farce "hénaurme" qui séduit mais Lortchenkov, derrière la caricature, met le doigt sur des problèmes qui sont encore d'actualité dans son pays : le pouvoir d'une oligarchie qui a toujours les clés du pouvoir, l'écart grandissant entre riches et pauvres, la douloureuse sécession de la région de la Transnistrie qui a fait allégeance à la Russie, les rapports complexes avec la Russie et la Roumanie, deux pays dont l'influence contraire contribue à écrire le futur destin de la Moldavie, vers l'union européenne, ou pas. Bon, d'accord, Le dernier amour du lieutenant Petrescu n'est pas un traité de géopolitique mais son ancrage dans un certain réalisme social et stratégique n'est pas étranger au plaisir que l'on prend à cette satire délicieusement grotesque et plus profonde qu'il n'y parait.

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le 17 déc. 2016

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