Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre


Sous l’éclairage mortel de cette destinée, l’inutilité apparaît. Aucune morale, aucun effort ne sont a priori justifiables devant les sanglantes mathématiques de notre condition.



Le mythe de Sisyphe, c'est l'essai central du thème de l'absurde dans l'oeuvre de Camus, comme l'Homme révolté est celui de du thème de la Révolte. Autour de cet essai gravitent deux pièces : Le Malentendu et Caligula qui sont à cette oeuvre ce que les Justes sont à l'Homme révolté.
Ainsi, après avoir lu l'essai, il est intéressant de se plonger immédiatement dans les pièces connexes, qui résument avec poésie et ferveur les idées charnières de l'oeuvre de Camus.
Mais le mythe de Sisyphe est avant tout celui de la mythologie grecque, dans lequel Sisyphe se retrouve condamné à rouler un énorme rocher au sommet d'une montagne, avant qu’inéluctablement celui-ci ne regagne le bas de la pente, et ceci pour l'éternité.


L'absurde pour Camus, c'est prendre conscience du décalage entre les attentes de l'Homme et ce que lui offre le monde.



L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde



C'est prendre conscience du caractère machinal de l'existence, et la certitude de l’absence de lendemains mythologiques. Prendre conscience de cet absurdité permet à Camus de devenir l'"Homme absurde", c'est à dire celui qui ne se suicide pas, parce que par la seule force de la pensée, la promesse de la mort devient une règle de vie. De cet absurde, Camus tire trois conséquences : sa révolte (voir l'Homme révolté"), sa passion, et son amour.
Il faut imaginer Sisyphe heureux, car, conscient de sa condition, il devient infiniment libre face au rocher. Lorsqu'il doute, qu'il songe au suicide, il laisse le rocher prendre le dessus.


Comme l'ouvrier de l'usine qui assemble les mêmes pièces, six jours par semaine, pour gagner l'argent nécessaire à vivre modestement, à partir une semaine en vacances, et attendre la mort dans la promesse d'une vie plus belle que cette insupportable succession de journées absurdes, Sisyphe réalise une tâche vaine, cette fois sans promesse. Mais prendre conscience de ce fait lui donne l'ascendant sur son rocher. Alors il vit, absurde et révolté et il faut l'imaginer heureux. Heureux parce que son destin lui appartient et fait taire toutes les idoles. Faute de destinée supérieure, Sisyphe est maître de son destin. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d'Homme.


Parfois présenté comme un essai des plus pessimistes, cette oeuvre m'apparaît comme un formidable élan d'optimisme. Comme le dit Camus, il faut savoir abandonner tout espoir, mais cela n'a rien à voir avec le désespoir. Créer sans promesse du lendemain, aimer passionnément, se révolter sans violence, voilà les conséquences directes de la conscience absurde. Là ou l'analyse Camusienne de l'absurde me paraît la plus juste, est dans la certitude que l'Homme d'un côté, le monde de l'autre ne sont intrinsèquement absurdes. L'absurde naît proprement de leur antinomie.



A partir du moment où elle est reconnue, l’absurdité est une passion, la plus déchirante de toutes.



Une oeuvre à recommander à ceux qui, emplis de doutes, veulent pousser les murs de l'existence et trouver un équilibre philosophique du bonheur, à tous les amoureux des choses de la vie.


Ce n'est pas un livre facile, et je recommande de commencer par un roman comme la Peste ou l'étranger pour aborder Camus. Mais avec l'Etat de Siège*, il constitue pour moi l'une des œuvres les plus formidables du siècle. L*'Etranger*, comme le dit justement Sartre, nous donne le sentiment de l'absurde, alors que la présente oeuvre l'étudie avec une rigueur remarquable.

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le 27 août 2016

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DogtorWoof

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