Sous l'aspect informel d'une conversation à bâtons rompus avec sa meilleure amie, Belinda Cannone balaie plusieurs siècles de conception de l'amour à travers l'évolution du mariage et du statut de la femme pour tenter de comprendre pourquoi le couple d'aujourd'hui est en crise. Rappelant ce que l'amour doit à la naissance du roman (quand on aime, on cherche à l'exprimer), elle explore la littérature française à la recherche de figures d'amantes et de duos amoureux laissés en héritage à des femmes de plus en plus libres et à des partenaires à qui l'on demande de répondre à tous les besoins...
Enfin, après des siècles de dualisme platonicien et de culpabilisation du plaisir et du corps par la morale judéochrétienne, elle remet le désir à sa juste place, c'est-à-dire à un désir de l'être entier, celui de la communion des âmes.
"La promotion de l'intime me paraît d'autant plus nécessaire aujourd'hui que la virtualité a envahi nos existences quotidiennes. La désincarnation des relations humaines est bien plus menaçante que la sexualité "de consommation" des jeunes gens, ou la pornographie qui dégrade l'idée de l'érotisme. Chaque jour, chacun est enchaîné pendant de longues heures à la solitude de son écran, et les relations amoureuses elles-mêmes se forment souvent par ce biais. A cette sociabilité incorporelle manque une dimension capitale, celle de la présence. Quand, au lieu du contact numérique, un corps, dans ses humeurs et ses odeurs, dans sa singularité, vient épouser le nôtre, nous éprouvons sa réelle présence et la nôtre, d'autant plus réelles qu'elles sont plus intimes. Contrairement à l'exhibition mentale et visuelle que proposent les réseaux sociaux, contrairement à leur théâtralité qui maintient la distance, soudain on touche un corps qu'on a choisi, et l'on atteint au plus secret. A travers cette corporalité partagée, tout un esprit se donne intuitivement à percevoir -- deux corps-esprits se rencontrent Je persiste à croire que quand tous les tabous seront levés, quand la possibilité de la transgression aura été réduite à peu de chose -- qu'en reste-t-il, déjà ? --, demeurera cette expérience bouleversante de l'intime, de la peau, de la caresse, de la vulnérabilité, cette conjonction inouïe de deux corps-esprits s'offrant dans leur nu intérieur."
"Dans le discours ordinaire, on précise souvent qu'il faut être vigilant et savoir séparer l'amour du désir. Pourquoi le faudrait-il ? N'est-ce pas une représentation comme une autre, celle qui les distingue à ce point ? N'en aurait-on pas bêtement hérité comme de l'idée de la distinction du corps et de l'esprit ? Chacun sait bien faire la différence entre un désir passager, léger, inconsistant, et le grand désir. Mais pourquoi enlever à celui-ci sa riche composante d'amour ? L'idée de l'amour sans désir, nul n'a de difficulté à le concevoir, la religion chrétienne nous l'a enseignée en la valorisant, et nous connaissons des formes formes d'affection profonde sans désir, comme l'amitié. Mais, vieille habitude de déprécier le corps, il nous est plus difficile de reconnaître au grand désir sa charge d'amour, leur puissant emmêlement."
"Cessons de désirer, nous ne manquerons plus. En somme, le manque crée plus sûrement la mélancolie qu'il ne crée le désir quand, en revanche, le désir crée le manque, et l'abolit."