Ouistreham c'était plus fun en 44
La Crise, ce terme un peu passe-partout pour désigner le gros merdier ambiant de nos civilisations, est partout. Mais en soit comment se traduit-elle au quotidien? Qu'est-ce qui se cache derrière ce terme venu d'on ne sait où, ces fermetures d'usines et ces employés en colères? C'est ce que Florence Aubenas, fraichement revenue d'Irak après un séjour "prolongé", nous propose de découvrir.
Mais plutôt qu'une étude purement statistique, agrémentée ça et là de quelques commentaires, Florence Aubenas va directement aller sur le terrain, en immersion totale et en parfaite inconnue. Son objectif : trouver un CDI, peu importe le temps que cela prendra. Ce livre retrace son périple jusqu'à [spoiler qui n'en est pas vraiment un] l'obtention de ce dernier.
Courageux ce livre l'est assurément. Loin des journalistes parisiens enfermés dans leur bulle, tous diplômés de grandes écoles et qui n'ont, pour la plupart, jamais eu a côtoyer le petit peuple, Aubenas nous offre une vraie leçon de journaliste, de ceux qui savent nous montrer la réalité, crade, directe et impitoyable.
En soit ce livre ne nous apprendra rien de particulier. Trouver un emploi est aujourd'hui impossible à moindre d'être pistonné, d'avoir un bac+7, 10 ans d'expérience, pas plus de 20 ans d'âge, et accepter d'être payé le SMIC (et encore...) tout en travaillant entre 40 et 50 heures par semaine. Et c'est pire lorsqu'on est une femme. Les horaires impossibles, les patrons qu'on aimerait coller contre un mur devant un peloton d'exécution, les galères pour boucler les fins de mois. La misère sociale aussi, omniprésente. Ces "petites gens" dont on sent la détresse, leur vision du monde qui ne se résume qu'à une centaine de kilomètres autour de leur "maison", ces existences d'esclaves dont beaucoup semblent s'en satisfaire... Mais dans quel monde vivons-nous? Mais je m'égare.
Le style de Florence Aubenas est clair et précis. Normal, après tout écrire est son boulot et elle a été formé à ça.
Pourtant un "je-ne-sais-quoi" me dérange. Ce n'est pas Florence Aubenas, pour laquelle j'ai un immense respect. Ce n'est pas son livre qui est particulièrement intéressant. Le problème est ailleurs. Peut être est-ce au niveau de sa "portée". "Le quai de Ouistreham", un coup d'épée dans l'eau? Ce n'est pas impossible. Car qui lira ce livre si ce n'est ceux qui ont les moyens de s'en payer? Le monde journalistique a salué ce livre, récompensé par plusieurs prix. C'est bien. Mais après? Car c'est l'impression que l'on a quand on referme ce livre. "Oui mais après?" Car si un journaliste du monde peut s'extasier devant un livre "poignant, d'une réalité insoutenable", les choses changeront-elles? Non. D'ailleurs ce livre a été publié il y a maintenant 3 ans. La Crise, cette ribaude infâme, traine toujours dans l'ombre. Le chômage augmente etc... Et on se dit que les femmes de Ouistreham doivent être encore plus dans la merde qu'il y a deux ans....
Hormis cela, "Le quai de Ouistreham" reste un très bon livre.
PS: ne le lisez pas si vous êtes déprimés. Il vous donnera davantage l'envie d'en finir avec la vie.