Le Spectre Meyer ou comment hanter la littérature sans avoir rien écrit depuis 10 ans

Vous vous souvenez... C'était un temps où Skyblog était encore un réseau social plébiscité, un temps où la littérature jeunesse brillait tellement qu'elle parvenait à faire la une des journaux télévisés (et parce qu'on regardait encore la télé) et l'on pouvait voir chaque année des hordes d'adolescentes remplir des cinémas rodés à l'exercice promotionnel. Mais les succès fulgurant sont souvent voués à des échecs de même nature et Stephenie Meyer, écrivaine par dépit (on rappelle quand même qu'elle a écrit Twilight pour payer ses factures de garagiste) plus que par envie, ne saura jamais renouveler sa formule au goût du jour. Pour comprendre sa chute, revenons donc sur son dernier grand roman.


Tout d'abord, il faut comprendre que le livre a été vendu comme un livre pour "adulte". Alors oui, je me demande encore aujourd'hui en quel honneur puisqu'en définitive, c'est grossièrement la même structure narrative que Twilight appliqué à un monde, certes plus complexe, mais ne nous leurrons pas, c'est encore un énième quadrilatère amoureux. Dans la dédicace même du livre on peut lire "le plus important dans une histoire, c'est l'histoire d'amour", on ne peut pas faire plus clair. C'est seulement que l'écriture est plus maturée, l'histoire mieux amenée et l'univers plus travaillé que dans ses écrits précédant. Alors peut-être que Meyer cherchait par là une certaine légitimité littéraire, que l'étiquette d'autrice fleur-bleue lui collait un peu trop à la peau ou peut-être qu'il fallait tout simplement pour son éditeur qu'elle parvienne à adapter son style à un plus large public (ce qui est ridicule en soi puisque les lectrices de Twilight n'étaient pas toutes des adolescentes au moment de sa sortie).


Quoi qu'il en soit, Les Âmes vagabondes reste pour moi le meilleur livre de Stephenie Meyer, ou tout du moins, celui qui nous laisse entrevoir un talent qui n'avait clairement pas la place de s'exprimer ailleurs que dans ce livre. Pour tout vous dire, c'est l'un des livres les plus marquant de mon adolescence et je l'ai relu un nombre indécent de fois. Là, si vous suivez un peu mes critiques vous êtes en train de vous demander comment quelqu'un qui sort du fin fond de l'inconnu des œuvres indé-queer-lesbiennes a pu être biberonnée à l'autrice la plus hétérosexuelle jamais conçue et ce serait légitime. Mais il faut reconnaître que Stephenie Meyer a été (et est toujours malgré tout) une autrice incontournable de la littérature populaire. Alors, pourquoi les Âmes vagabondes résonne comme un chant du cygne ?


Paradoxalement, c'est peut-être justement parce que l'histoire d'amour n'est pas la chose la plus importante (mais qu'elle a tenté désespérément de l'être) que ce livre est aussi bancal. Parce que sur le papier, ça me semblait une oeuvre de science-fiction pas tout à fait majeure, mais honnête dans sa démarche. Il faut se représenter un monde où l'humanité a presque entièrement disparue, remplacée par une espèce extra-terrestre qui parcourt l'univers à la recherche de nouveaux mondes à coloniser et que l'on appelle les "âmes" tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre en dehors d'un "hôte", excepté sur leur planète d'origine. Et plutôt que d'être des monstres sanguinaires et manipulateurs à l'apparence assez dégueulasse pour en faire un film d'horreur décent, ce sont au contraire des petits bisounours qui instaurent dans les mondes conquis une paix sociale durable, où ni la misère, ni l'argent, ni le mensonge, ni la violence n'existe. Vagabonde a.k.a Gaby a.k.a notre personnage principal est une âme un peu particulière puisqu'elle a visité absolument tous les mondes, ce qui est assez rare pour qu'elle soit considérée comme une petite célébrité parmi ses pairs et qu'une fois arrivée sur Terre, on lui refile l'élément le plus récalcitrant en guise de corps en la personne de Mélanie Stryder. Parce que voyez-vous l'humanité, ça ne se laisse pas abattre facilement et Gaby va en faire les frais puisque, dirigée par les émotions de Mélanie et Mélanie qui lui parle constamment dans... leurs têtes, elles vont tenter de rejoindre le beau Jared, le Che Guevarra local et dont Mélanie est éperdument amoureuse. Alors que Gaby, depuis tout ce temps, menait la parfaite vie de Professeure d'université, ce qui était une parfaite exposition pour nous expliquer en quoi consiste la vie sur d'autres planètes. Mais au lieu d'avoir un cours de... hum de xéno-anthropologie et du développement, il faut vite filer là où l'action est censée se produire, à savoir dans un environnements qu'on connaît déjà puisque c'est le nôtre.


J'ai envie de vous dire que c'est là que les ennuis ou plutôt l'ennui commence. Car, ce qui est vraiment intéressant, ce n'est pas les loooongs moments de je t'aime-moi-non-plus-tu-as-un-alien-dans-le-cou-qu'il-faut-enlever parce qu'on a toutes lu Twilight, on connaît déjà la musique. Non, ce qui est vraiment intéressant, c'est l'univers du livre et ces moments où il se développe, en fait tout ce que l'on découvre à travers les yeux de Gaby. Parce que Mélanie... c'est le side-kick rigolo, la sassy queen de service, la meilleure amie exubérante bref, un truc accrocheur mais sans nuance et c'est en fait Gaby qui se retrouve bien souvent au rang de personnage secondaire qui ne sert qu'à porter nos deux héros amourachés. Si je devais faire une comparaison, c'est un peu comme la quête principale dans un jeu vidéo qui revient sans cesse se rappeler au joueur alors que tu voulais juste faire un peu d'exploration.


Finalement, ce que j'avais envie de lire, c'est les aventures de Vagabonde qui s'adapte à son nouveau corps et qui l'appréhende à travers toutes ces expériences passées. Ce n'est pas rien de faire un personnage extrêmement "vieux" (en terme de cycle de vie sur chaque planète) et en même temps de le mettre dans la position si précaire d'être humain. Tout en sachant qu'il y a des enjeux derrière, puisqu'en même temps qu'elle est admirée parmi les âmes, il est très mal vu de changer d'hôtes plusieurs fois et certain s'interroge sur pourquoi est-ce qu'elle ne s'est pas choisi une planète définitive comme tout le monde. Je pourrais continuer longtemps sur le "lore" des Âmes vagabondes et ce que j'aimerai démontrer par là, c'est à quel point il ne prend pas la place qu'il devrait alors que franchement, dix ans après, c'est la seule chose que j'ai retenue de ce livre.


Ce qui me fait me demander, déjà, pourquoi cette critique est longue à ce point ? Ensuite, pourquoi ce que l'on a retenu de Stephenie Meyer, c'est la structure rédhibitoire de ses romances alors que ce livre montre qu'elle avait les capacités (au moins en théorie) de faire des personnages plus nuancé évoluant dans des univers moins lisse ? Vraiment, enlevez Mélanie de l'équation et vous obtenez... bon pas un livre parce que cette romance prend définitivement trop de place, une "nouvelle" assez surprenante pour quelqu'un qui nous a vendu précédemment les romances les plus mièvres et les plus simplistes que l'on puisse faire.


Je pense que c'est pour cela que les fans les plus hardcore (dont moi), petit conciliabule discret, attendaient dans l'ombre un hypothétique Tome 2 qui ne serait pas obligé d'être le fessier entre deux chaises et pourrait se consacrer plus amplement à développer le personnage de Gaby, libérée et délivrée de sa Bella Swan sous stéroïdes. Mais des années d'attentes puis plus rien, Stephenie Meyer quitta le devant de la scène, remplacée ensuite par une parodie si réductrice (oui, c'est de toi que je parle Fifty Shades) qu'on a un peu oublié qu'il y avait Les Âmes vagabondes qui préfigurait quelque part déjà cette tendance à la SF légère et pas trop compliquée de Hunger Games ou Divergente. Au final, ce qui a tué Stephenie Meyer, c'est peut-être sa tentative de sortir des plate-bandes qu'elle avait participé à promouvoir.

Thepunkowl
7
Écrit par

Créée

le 8 mars 2020

Critique lue 67 fois

Engy Near

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