La période de la Seconde Guerre Mondiale a été abordée dans la littérature à de nombreuses reprises, que ce soit sous forme de fictions, de documentaires ou d’essais. On peut citer parmi les œuvres les plus connues, Si c’est un homme de Primo Levi, Le silence de la mer de Vercors ou encore Le Journal d’Anne Franck. S’inscrivant, quant à lui, dans la lignée des romans s’intéressant plus particulièrement au personnage de l’officier SS, Les bienveillantes de Jonathan Littell n’est pas sans rappeler le très bon roman La mort est mon métier de Robert Merle. Publié en 2006, il reçoit la même année, le grand prix de l’académie française mais aussi le prix Goncourt et remporte un franc succès auprès des lecteurs. Néanmoins il essuie certaines critiques négatives qui lui reprochent le manque de crédibilité du narrateur, le manque de modernité et la faiblesse du style mais aussi des problèmes éthiques liés au risque de voir le lecteur se complaire dans la violence et de développer de l’empathie pour le narrateur, un officier SS. Quel groupe de lecteurs ai-je rejoint? Celui des convaincus ou celui des désappointés?


Prenons tout d’abord l’objet en main. Ce qui frappe c’est son poids et son nombre de pages…1400 pages dans la version poche. Et oui ce roman est long, trèeeees long. Cela pourrait légitimement suffire à en décourager plus d’un surtout qu’au nombre de pages, se rajoute une mise en page très dense, peu de marges, peu de sauts de ligne, une police d’écriture petite, pas de chapitres mais uniquement des parties très longues. Bref ça ne donne pas forcément envie et quitte à s’infliger un gros pavé on a vite fait de se tourner vers une intégrale de Game of Thrones… Mais n’oublions pas, il est souvent nécessaire d’ôter l’emballage pour pouvoir apprécier pleinement la chose convoitée…ou pas.


Revenons sur le style qui a été décrié par certains critiques. Pour son premier roman, on peut dire que Jonathan Littell manie la plume avec brio. Certes l’auteur ne réinvente rien mais il fait preuve d’une grande maîtrise de la langue. Il réussit à entraîner le lecteur dans le récit très cru de cet officier SS, à le suivre dans le « tour du monde » de ce conflit mondial, alors qu’au final, sur les 1400 pages on dénombre peu d’actions. Une étrange force emporte le lecteur dans ce tourbillon de violence et d’horreur. J’ai toutefois ressenti un certain ennui et une lassitude dans les passages où le narrateur se trouve dans le Caucase et en Hongrie. L’auteur ne ménage pas le lecteur en utilisant abondamment un langage cru et dérangeant tout en alternant avec un langage on pointe l’érudition. Il n’est pas toujours facilement de suivre l’auteur quant il s’adonne à cet « étalage de savoir ». Il me reviens en mémoire notamment, un passage dans le Caucase, où Maximilien Aue, le narrateur, à une longue discussion avec un professeur qui porte sur les différentes langues et ethnies du territoire sur lequel ils se trouvent…pas très loin de tomber dans le bon vieux ouvrage universitaire…L’utilisation de mots et termes allemands tout au long du récit peu déstabiliser et égarer parfois; il aurait été judicieux d’intégrer des notes de bas de page ou un lexique plus conséquent que celui présent dans la version de poche, afin de guider le lecteur.


La richesse de la documentation est selon moi, le point fort de ce roman. Il foisonne de détails historiques, de descriptions de lieux et de personnages: on sent que l’auteur a abattu un travail colossal de recherches documentaires en amont de son œuvre. Ça ne fait qu’accentuer la crédibilité du récit. Ainsi on nous apprendre des tonnes d’informations sur cette période, certaines complètement inconnues pour ma part. J’ai trouvé certains passages passionnants et cela m’a même donné envie d’approfondir les connaissances ainsi acquises. Le roman va au delà des connaissances que l’on aurait pu avoir acquises lors de la scolarité, qui malheureusement faute de temps, ne fait que survoler cette période et délaisse certains faits.


Jonathan Littell fait le choix de mettre en scène une palette de personnages fictifs mais aussi et surtout réels comme Hitler (bien sûr…), Albert Speer, Heinrich Himmler, Adolf Eichmann, Reinhard Heydrich ou encore Rudolf Hoss (le narrateur de La mort est mon métier). M. Aue rencontre TOUS ces personnages, il peut trop « facile » à mon sens… Cela aurait-il être possible dans la réalité? Je ne pense pas…un petit manque de crédibilité sur ce point… En ce qui concerne les personnages fictifs, c’est assez difficile de s’y attacher, peu d’émotions s’en dégagent et la plupart « passe vite » dans le champ du narrateur. Relative exception, le personnage de Thomas, un officier SS comme M. Aue, on peut même dire son seul ami? qui l’aidera à de nombreuses reprises et le suivra jusqu’à la fin du roman…


Le point qui a très certainement posé des difficultés à de nombreux lecteurs sont les scènes de scatologie, de sexe et d’inceste qui ponctue le récit…L’avant dernière partie intitulée « Air » en est l’apothéose…En effet l’auteur ne ménage pas son lecteur, il provoque, il dérange. Mais à mon sens cela va de pair avec le personnage de Maximilien Aue: torturé par son amour pour sa soeur, une haine envers sa mère, une homosexualité cachée, un trouble de l’identité. Je ne m’aventurai pas sur un terrain que je ne maîtrise pas mais il ferait indéniablement un bon cas d’analyse psychanalytique.


De nombreuses questions sont soulevées dans Les bienveillantes notamment sur le mal: doit-on faire le mal par devoir? Est ce légitime? Faire le mal pour la « bonne cause » n’est-il pas en fin de compte faire le bien? Le roman aborde également les questions sur l’antisémitisme et sur ce concept de race supérieure, sur l’inceste, l’homosexualité et bien autres choses…


La maîtrise de l’écriture, les thèmes abordés, l’énorme travail de documentation ainsi que les nombreuses connaissances apportés sur ce conflit, fait des bienveillantes, un Grand roman. Certes, ce n’est pas une lecture facile de par la violence qui s’en dégage mais aussi par la densité du texte et parfois les « dérapages » d’érudition. C’est une lecture exigeante mais vraiment pas insurmontable, il faut juste prendre son temps…Bref c’est un roman vraiment passionnant pour tout ceux qui souhaitent en savoir davantage sur ce conflit mondial mais c’est également un roman qui offre une occasion presque inédite d’observer la cruauté et la bêtise humaine à travers les yeux d’un Hauptsturmfuhrer…

JessicaDubreucq
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le 6 avr. 2019

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