Les Bonnes
7.2
Les Bonnes

livre de Jean Genet (1947)

Le rideau se lève sur deux femmes. L'une est apparemment la maîtresse et ne se prive pas pour insulter et mépriser sa servante. Au point de pousser celle-ci dans ses retranchements, de l'inciter au meurtre.
Mais les apparences sont trompeuses. En réalité, ces deux femmes sont deux sœurs, et sont toutes les deux servantes. Chacune débutait la pièce en jouant un rôle. Du théâtre dans le théâtre. Et l'un des thèmes majeurs de la pièce est amené dès ce début : l'ambiguïté des personnages. Une ambiguïté qui se joue principalement entre les deux sœurs. Il est très difficile, voire impossible de les distinguer psychologiquement. Chacune prend en charge, alternativement, le discours violent et haineux que l'autre tente d'atténuer. Elles intervertissent même leurs rôles. Et même Madame ne sait pas trop qui est qui ("Madame nous confondait toujours").
Une confusion entretenue jusqu'au bout, au point qu'on hésite : sont-elles vraiment deux ? ("N'oublie pas que tu me portes en toi") Et à force d'intervertir les rôles, on peut même douter de l'existence de Madame...
Genet pousse jusqu'au bout la confusion entre les personnages, confusion qui est bien plus apparente pour les spectateurs que pour les lecteurs. En effet, quand on a le texte sous les yeux, on sait qui parle, on a constamment le nom des personnages, c'est plus facile pour s'y retrouver. Mais quand on est spectateur, la valse des identités ne peut qu'entraîner une confusion voulue par l'auteur et qui apparaît comme un signe de modernité théâtrale.

Étrange relation entre les deux sœurs, donc. Mais aussi étrange relation entre les bonnes et Madame. Relation amour-haine, mélange de culpabilité religieuse et d'attirance vers la violence. Elles veulent clairement se débarrasser d'elle. Elles ont déjà commencé en dénonçant Monsieur, qui a été embarqué par la police. Pourquoi ? Car Madame, c'est l'incarnation de toute l'injustice sociale. Sa simple existence rappelle aux deux sœurs qu'elles sont d'origine modeste et qu'elles doivent travailler pour vivre. Elles sont inférieures.
Mais Madame n'est pas non plus un monstre. Elle est superficielle, très intéressée par son apparence et les bienséances sociales (il faut à tout prix qu'elle se fasse faire une belle robe noire pour soutenir Monsieur dans son épreuve), mais elle est très reconnaissante envers ses servantes. Seulement, même ses cadeaux sont des preuves de différences sociales : "Madame nous tue avec sa douceur ! Avec sa bonté, Madame nous empoisonne !" Chaque cadeau est la preuve que Madame peut se le permettre, et que les bonnes sont dépendantes de leur maîtresse.

Une pièce très intéressante, facile et rapide à lire, peut-être un peu trop théorique dans sa remise en cause du statut des personnages au théâtre.

Créée

le 11 mai 2013

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SanFelice

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