Les Cavaliers
8.3
Les Cavaliers

livre de Joseph Kessel (1967)

Date initiale : 25/02/2021

Date révision : 30/01/2024 (forme)

J'ai voulu lire le roman de Kessel toutes affaires cessantes après avoir vu l'excellent film de Frankenheimer qui en a été tiré en 1971.
Et je ne regrette pas.
On y découvre la fascination de Joseph Kessel pour ce monde de la steppe, des cavaliers et des tchopendoz hors du temps. Le roman a été publié en 1966 ; l'action date très probablement de cette époque, de toute façon du temps où l'Afghanistan était un royaume.
Mais qu'est-ce donc que les tchopendoz ? Il s'agit de l'aristocratie des cavaliers, il s'agit de ces cavaliers professionnels qui participent au fameux jeu de Bouzkachi, le jeu où des cavaliers se disputent une carcasse d'un bouc préalablement égorgé et remplie de sable pour l'alourdir, sur un terrain de plusieurs kilomètres. Tous les moyens sont bons pour s'emparer et conserver la dépouille du bouc à l'aide d'un fouet lesté de billes de plomb ou en désarçonnant le cavalier concurrent. C'est un jeu d'équipe dans la mesure où plusieurs écuries, correspondant aux villages ou aux tribus, sont en lice. Le vainqueur entre dans la légende.
Il en fut ainsi de Toursene qui fut un grand tchopendoz qui a à son actif un grand nombre de victoires. Il est le père d'Ouroz, son digne successeur, lui aussi vainqueur de plusieurs Bouzkachi.
Et voici que s'annonce le Bouzkachi royal, à Kaboul, dans la capitale, en présence du roi. Autant dire que c'est l'événement de l'année. Et Ouroz se doit d'y aller pour triompher à nouveau à l'aide du meilleur cheval de l'écurie de Toursene, extraordinaire, Jehol.
Mais, surprise, voilà qu'il va perdre le Bouzkachi et même s'y casser une cheville. Son orgueil sans bornes et son humiliation face à un père qui risque de le mépriser à son retour, lui fait prendre avec Jehol et son palefrenier le chemin de retour le plus difficile qui soit, à travers une montagne (l'Hindou Kouch) très inhospitalière et dangereuse. C'est un véritable chemin initiatique qu'il va emprunter où il vivra de nombreuses aventures et rencontres.
A travers ces épreuves se dévoilent les caractères et les mentalités notamment de son palefrenier (Mokkhi) et de la servante (Zéré) qu'il recueille au passage. On devine combien Ouroz doit composer entre son orgueil démesuré, l'humiliation cuisante de la défaite et sa cheville cassée.

Dans le film de Frankenheimer, pendant le générique, en ouverture, on voit sur les escarpements ou en bordure des falaises des montagnes, des cavaliers immobiles trompette à la main qui annoncent dans tout le pays ce Bouzkachi royal. J'étais curieux de voir comment le livre avait abordé cette introduction solennelle
Le roman commence autrement par la présentation d'un vieillard, "l'Aïeul de tout le monde", Guardi Guedj, sans âge mais ayant tout vécu, qui parcourt l'Afghanistan à cheval ou sur des camions et qui, à chaque halte, raconte aux routiers de passage, à la façon d'un conteur, les légendes des tchopendoz et du Bouzkachi qui va avoir lieu sous peu. D'ailleurs, il se rend chez Toursene, le plus grand cavalier de tous les temps ...
Le roman décrit minutieusement les longs préparatifs de ce jeu, l'arrivée des spectateurs, les préparatifs des concurrents. Et très régulièrement, Kessel écrit "les trompettes de cavalerie sonnaient" puis plus loin "les trompettes sonnaient" puis au moment de l'arrivée du roi sur le lieu du Bouzkachi, "les trompettes sonnaient plus haut, plus clair" jusqu'au début de la partie de Bouzkachi. Cela donne un éclat, une solennité au texte dont on imagine l'honneur ainsi fait aux différents participants du jeu. En définitive, j'aime bien la présentation très imagée et vivante que fait Kessel que Frankenheimer rendra plus visuelle et sonore.
La grande qualité du roman est le profond respect des coutumes ancestrales que marque Kessel sur ce monde étrange où se côtoient plusieurs ethnies qui composent le monde des afghans, les khirghizes, les ouzbecks, les pachtous, etc … Mais c'est un monde étrange où la seule loi qui compte, c'est la loi tribale, où le chef a droit de vie ou de mort sur ses sujets. Un monde où les femmes (afghanes) sont exclues et ne peuvent assister au Bouzkachi. Paradoxalement, seules les femmes occidentales ont accès au lieu du jeu ...

J'ai bien aimé le personnage de la servante Zéré qui est une femme de caractère, qui joue gros pour survivre dans ce monde de mâles.
L'hommage que rend Kessel à Ouroz, le cavalier orgueilleux et humilié, est impressionnant. Ouroz, par sa traversée de la montagne se réhabilite peu à peu à ses propres yeux et, bien plus important, aux yeux de son père. Ce dernier finira par reconnaître son manque d'empathie vis-à-vis de son propre fils qu'il découvre soudain.

JeanG55
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Romans de Joseph Kessel

Créée

le 25 févr. 2021

Critique lue 595 fois

3 j'aime

2 commentaires

JeanG55

Écrit par

Critique lue 595 fois

3
2

D'autres avis sur Les Cavaliers

Les Cavaliers
Black_Key
9

Steppe by step

Le soleil se lève. La steppe, cloisonnée de montagnes crevant le ciel, emplit son immensité verdoyante de cris, souffles, râles et hurlements humains et animaux entremêlés dans un nuage de poussière...

le 26 mai 2020

16 j'aime

5

Les Cavaliers
PhyleasFogg
10

A la hauteur du Grand Toursène.

Aussitôt que le Chef des Écuries, le Maitre des chevaux se hissa droit hors de son lit, il redevint Grand, imposant sa loi à tous. De son employeur à son saïs*. A son fils, dévoré par son orgueil et...

le 22 oct. 2017

9 j'aime

2

Les Cavaliers
Coty
10

Critique de Les Cavaliers par Coty

Une merveille. Ouvrez ce livre et partez pour un voyage fabuleux au coeur d'un Afghanistan comme vous ne l'avez jamais imaginé, pays aux milles paysages, à la riche culture et aux traditions...

Par

le 28 oct. 2011

7 j'aime

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

22 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

21 j'aime

8

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5