On fait polémique de tout en France. Même d'un livre intelligent, très brillamment construit, à l'écriture simple et tenue qui nous parle de nous. Enfin, nous.... Les Farel, le couple du livre, ne sont guère « gilets jaunes ». Lui, 70 ans, journaliste politique médiatique, insubmersible et qui s'accroche. Elle, de 20 ans sa cadette, normalienne, essayiste reconnue, féministe. Terriblement parisiens, apparemment heureux et enviés, fiers d'un fils polytechnicien à 20 ans, beau comme un astre et sportif émérite. Trop beau pour être vrai ?


L'épigraphe en début de livre aurait dû nous alerter « Qui cherche la vérité d'un homme doit s'emparer de sa douleur ». C'est une phrase de Bernanos.


Alors, en effet, tout est déglingué, beaucoup plus que les apparences ne le donnaient à voir. Lui a une double vie depuis 15 ans, au vu et su de sa femme et de son fils. Elle le quitte soudain non à ce motif mais parce que soudain, elle, si chic, s'entiche d'un enseignant du secondaire, marié et père de famille qui ne supporte plus sa femme, laquelle s'enferme dans l'orthodoxie juive. Karine Tuil qui n'a peur de rien ratatouille les peurs et les effrois contemporains. La vieillesse, le cancer, les aléas professionnels (notre journaliste septuagénaire est constamment menacé de choir parce que les audiences baissent), les attentats (la fille de famille juive était scolarisée dans une école confessionnelle objet d'un attentat djihadiste), les migrants (notre essayiste écrit un article retentissant sur les événements de Cologne où des centaines de femmes s'étaient fait harceler par des migrants), la montée de la religiosité (ici dans une famille juive d'où la critique absurde faite à Karin Tuil de se prendre pour Philippe Roth), et cerise sur le gâteau : Mila Wizman, la fille de l'enseignant juif porte plainte pour viol contre le fils Farel, le rejeton surdoué de la nouvelle compagne de son père.


Voilà nous y sommes ! Dénonciation calomnieuse ou exagérée sous le poids du remords ou surfant sur la vague « metoo » s ? Mensonge ? Vérité ou « zone grise » du silence dans les relations intimes qui peut valoir consentement pour l'un et refus pour l'autre. Deux familles, un couple et deux jeunes brisés, un procès, des avocats de part et d'autre, les réseaux sociaux qui s'emballent, les amis qui s'enflamment, prennent parti, se détournent, les carrières qui se défont, la souffrance de la victime qui submerge tout jusqu'à faire douter les parents de l'accusé et la honte et la douleur qui badigeonnent tous nos personnages comme goudron et plumes.


Ce livre n'est en rien une dénonciation des éventuels excès des mouvements tels que metoo ou balancetonporc, d'ailleurs le lecteur est laissé à son seul jugement, malmené par l'auteure qui se joue de lui, selon qu'elle fait entendre la plaidoirie en faveur de la partie civile ou celle en faveur de l'accusé, également convaincantes.


Le propos du livre, son sujet, n'est ni le mouvement metoo, ni les nouvelles relations entre hommes et femmes, qu'elles se délitent ou qu'elles soient à réinventer.


Son sujet ? Ce sont les premiers mots du livre , son incipit : « La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre – fin de la mystification ».


Son propos ? Le procès. Tous les procès. Intimes ( les querelles conjugales ou entre amis). Institutionnels ( la justice- rares sont les romans qui restituent aussi précisément et avec tant d'empathie l'épreuve que constitue un procès pour l'ensemble de ses acteurs). Médiatiques (les réseaux sociaux). Les procès, les bons et les mauvais. Les uns et les autres seraient-ils nécessaires ou inéluctables.


Plus qu'un livre, ces « Choses humaines » sont vraiment comme son beau titre l'indique. Une ample méditation sur la vanité de nos certitudes.

JoëlBoyer
8
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Créée

le 20 oct. 2020

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Joël Boyer

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