Trois ans après ma découverte de Gary, quelques mois après avoir tenté de combler l'appel en relisant Les Racines du ciel, La Promesse de l'aube, et Gros-Câlin, je m'attaque aux Clowns lyriques, l'été, dans une tentative désespérée de combattre l'effet Gary par la chaleur. Je ne sais pas si c'est le titre, mais je m'attendais à quelque chose ressemblant peu ou prou à Lady L., quelque chose de grinçant, de mordant même, une de ses tentatives de combattre le désespoir par l'humour, mais ça souffre de la comparaison.


Les Clowns lyriques reprend beaucoup des thématiques de Romain — faut croire que mes écrivains préférés sont monomaniaques —, et vas-y que je te poursuite du bleu, vas-y que je t'amour et t'idéalisme, et le combat que se livrent ces deux géants, l'humour contre la barbarie de la vie, le totalitarisme... Mais ici tout combat est vain. C'est un agglomérat de vieux textes, si j'ai bien compris la préface, pourtant ici on sent la fin, c'est publié en 1979, on sent 1980 approcher. Un pendant un peu raté des Cerfs-volants — qui paraît si mignon à première vue, et se révèle pourtant presque désespéré —, qui l'éclaire à sa manière.


Gary reprend allègrement tout un passage de La Promesse de l'aube, celui sur la véritable tragédie de Faust, appliqué cette fois-ci à Hollywood, la grande machine à rêves... Oui, ce foutu idiot nous la ressort presque vingt ans plus tard, peut-être pour nous blesser encore plus. Il écrit, page 155 de l’édition Folio poche, “Goethe était un menteur. Il a menti, dans cette affaire de Faust. La vérité sur l’affaire Faust c’est qu’il n’y a pas de diable pour vous acheter votre âme. Il n’y a pas preneur. Il n’y a pas de diable, pas de maître du monde. Rien que des fils de pute imposteurs, genre Hollywood, au Kremlin ou partout ailleurs. Il n’y a pas d’acheteur pour votre âme, laquelle ne vaut pas un sou, et n’existe du reste qu’à titre purement hollywoodien, en technicolor.” Intéressant de constater que cette fois-ci, c’est Goethe qui est directement impliqué dans le mensonge. Goethe, l’écrivain. Le voilà, le goût du roman. On nous a menti, on nous a offert le roman comme plus grand que la vie, et la triste vérité c’est qu’il l’est.


Le roman, ou Hollywood. Hollywood, au moins, fait semblant. Willie Bauché est une vraie réussite, un vrai personnage qui se sait personnage, et puis alors, l'antepénultième chapitre, les dernières pages, sans doute parmi les meilleures pages que Gary a pu écrire ! Mais tout est trop dilué, répété, appuyé, surtout quand on le connaît bien, le Romain, lui et ses vieux gimmicks. Ça prépare les Cerfs-Volants, ça s'appuie sur Lady L., mais c'est tout essoufflé, comme Willie Bauché, Romain Gary a de l'asthme et ça gâte un peu l'ironie. Il écrit (à la fois en préface, en quatrième de couverture et dans le roman) que “l'ironie et l'humour ont toujours été pour [lui] une mise à l'essai de l'authenticité des valeurs, une épreuve par le feu à laquelle un croyant soumet sa foi essentielle, afin qu'elle en sorte plus souriante, plus sûre d'elle-même, plus souveraine” mais on n'y croit qu'à moitié. Ça ne sourit guère, ça se trompe, ça trébuche.


Peut-être est-ce voulu. Je n'en suis pas certaine. Je suis triste de ce livre, malgré les fulgurances —certains passages du début, un gros morceau de la fin —, et ça explique la note. C'est aussi ma façon de lui dire qu'il ne trompe pas grand monde, parfois. Alors je lui mets le nez dans sa merde, dans la merde dans laquelle il m’a mise, parce qu’il rigole doucement, sans doute, à nous qui croyons encore au diable. Romain, tu es un éléphant, et je te dis ça sans gentillesse.

Nelken
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le 10 août 2014

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