Le dernier français ?

Cela fait maintenant quelques années que j'avais Les Décombres chez moi en édition originale, c'est-à-dire avec les fameux passages antisémites qui ont été censurés dans certaines rééditions ultérieures. La censure qui était totalement conne étant donné que l'antisémitisme fait partie intégrante du livre, de la pensée de Rebatet et donc l'enlever c'est refuser à Rebatet l'intégralité de sa réflexion sur l'avant guerre et la défaite française et surtout modifier son discours. Pour lui, comme pour d'autres à l'époque la guerre est du fait des juifs (et de la Grande-Bretagne), ne pas dire ça, c'est refuser de comprendre ce qu'il raconte.

Le livre est réellement passionnant, on y suit donc les débuts de ce jeune journaliste/écrivain à l'Action Française puis comme soldat français. Immédiatement il prend ses distances avec Maurras avec lequel il ne semble pas être d'accord sur grand chose, que ça soit sur la nécessité ou non de déclarer la guerre à l'Allemagne, sur le fait de vouloir ou non poursuivre la guerre, etc. Clairement Rebatet traite Maurras comme un vieux sénile qui ne sait plus ce qu'il fait et ce qu'il dit. Mais c'est très intéressant de lire ce témoignage sur Maurras à l'heure où on lui refuse les commémorations puisqu'en fait on montre bien qu'il n'était pas le collabo pro Nazi qu'on a dépeint et que justement sa position vis à vis de l'Allemagne était loin d'être élogieuse (du moins au départ puisque le bouquin s'arrête en 1940).

Et donc c'est fascinant de voir des gens qui sont contre la démocratie guerroyer entre eux et ne pas être d'accord. Comme quoi il n'y a pas unité dans l'extrême droite, même à cette époque. D'ailleurs il est assez cocasse de lire tout le bien que pense Rebatet de Céline et de ses pamphlets alors que Céline ne pense pas nécessairement beaucoup de bien de Rebatet ou Brasillach.

Notons également quelques moments où clairement Rebatet voit clairement ce qui se joue sur la souveraineté française lorsqu'il dit que faute d'avoir pu faire une révolution fasciste la France perdra sa souveraineté nationale dans l'Europe.

Mais globalement je ne suis pas sur la ligne Rebatet, mais il n'en reste pas moins que c'est un témoignage passionnant qui permet de mieux comprendre l'époque, de l'éclairer et surtout d'avoir un autre point de vue, un point de vue de ceux qui ont collaboré, de ceux qui finalement ont perdu la guerre. Mais cette collaboration n'empêche pas Rebatet d'être extrêmement lucide sur le régime de Vichy et sur Pétain. Et rien que pour ce regard qui retrace toute l'histoire depuis 1938 jusqu'à la défaite française, ça fait très largement le coup d'être lu.