Malgré la fin amère, une apologie de la passion qui exalte plutôt la joie que ses passions tristes.
Quelques citations en vrac :


"Il est fâcheux pour les sentiments tragiques que les formes de la vie moderne ne s'y prêtent pas."


"Elle a le corps de son visage, elle a la chair de son âme."


"Arrivez ensemble. C'est autrement important que d'aimer les mêmes poètes."


"On ne serait pas de ces prodiges qui connaissent la volupté d'avoir vingt ans et un nom que les étudiants se répètent quand on descend le boulevard Saint-Michel. On mûrirait sans doute avec lenteur. Peut importait, puisqu'on sentait le germe là.
- Nous pourrions aussi bien que deux mille petits pisse-copies tenir notre rubrique dans une revue honorable. Mais nous ne le voulons pas. Le pire asservissement est celui de la plume. La nôtre restera un outil noble. Notre idéal est l’œuvre rare : to the happy few.
On commençait cependant à consulter les dictionnaires avec des inquiétudes inédites. A notre âge Shelley, Byron, Chateaubriand, Poe, Nerval s'étaient déjà donné des preuves de leur génie. Baudelaire, Balzac, Flaubert, Dostoïevski étaient déjà la proie de leurs ferments. Mais les exemples de Rousseau, de Stendhal, de tant d'autre sont des plus rassurants. C'est égal, si l'on doit être comme eux des débutants de la quarantaine, quel difficile destin ! Comment se comporter aussi longtemps, sans la consécration du premier pas ? Le raté et l'inconnu ne sont-ils pas partagés entre une identique certitude de leur valeur et les mêmes accès de doute ? Mais il était rare que l'optimisme ne l'emportât pas, surtout à deux. Ils se voyaient destinés à de vagues synthèses , qui seraient le grand œuvre de leur génération. Les aînés, ivres de leurs explorations, se dispersaient trop, la littérature se dissolvait souvent parmi tant de refus, de stylisations arbitraires, de jeux saugrenus. Eux, il iraient aussi loin, plus loin que les aînés, et sur un sol plus ferme, ils feraient chanter à leur instrument des thèmes plus mâles, plus larges, plus profonds."


"Les vérités qu'elle découvre lui sont amères : mais elle est du parti de la vérité."


"Comme elle est bien femme ! C'est une aventure éternelle, mais vécue par des êtres de premier rang."


"Non, un amour comme le leur ne peut pas vivoter... C'est un grand combat de la passion et de la foi qui se déroule. Il n'y a pas d'armistice possible. Il faut un vainqueur et un mort. Le drame doit être poussé, sans concession, jusqu'à ce dénouement-là."


"Et j'aime cette fille plus que la vérité !"


"J'étais arrivé à me faire, avec beaucoup de mal, une petite morale de la solitude."


"L'unique problème à envisager était donc plus que jamais celui du 'second métier libérateur', le moins métier et le plus libre qui se pût, le premier métier étant décidément la poursuite de soi-même, l'auscultation et l'essai anxieux de son talent, le culte des grands modèles, bref ce que les familles irritées appellent balivernes, gamineries, lubies, fainéantise, et les biographes, parfois, beaucoup plus tard, l'impératif d'une vocation littéraire."


"Je n'étais grand que par mes projets."


"J'ai envie de m'expliquer avec l'op. 111 en attendant le déjeuner."


"Toujours les mêmes ! Qu'il soit question d'amour, de Dieu ou du temps qu'il fait, vous finissez par vous battre à coup de littérature."


"Vous plairait-il d'être condamné à dix ans de bureaux forcés ? Disons encore que les garçons croyaient très honnêtement que la banque, la bourse, l'exportation, l'assurance réclamaient de particulières et mystérieuses capacités."


"Mais Anne-Marie, Anne-Marie ? elle qui est le mystère d'une fille s'ajoutant à tous les autres mystères ? Mon Anne-Marie à moi, s'il était vrai que je l'ai inventée ? Mais quand bine même elle serait une création de mon cœur, de ma tête, qu'importe, puisque c'est l'amour qui m'inspire cette création ? Mon amour pour Anne-Marie aurait-il un sens s'il ne me l'avait montrée telle qu'elle s'ignore sans doute elle-même ? Par cet amour, je saurai créer Anne-Marie à sa propre image. Auprès de cette merveilleuse vocation d'un sentiment, quelle misère que la possession charnelle ! Anne-Marie sera née de moi comme de Régis, et bien plus de nous deux que de son père et de sa mère. Et moi-même c'est par elle que je suis venu à ma vraie vie."


"J'ai appris mon amour jour par jour, heure par heure, comme une langue inconnue, en bégayant, en tâtonnant, avec des contresens enfantins... oui, et je peux bien dire aussi : comiques. J'ai pu me féliciter de transfigurer Anne-Marie. On peut tout se démontrer... Mais non, je ne l'ai point embellie. Quand bien même j'aurais été capable d'adorer une fille des songes dans une heure d'effervescence, cette supercherie de vieille pucelle me serait apparue bientôt. Proust ne croit pas à la réalité de l'amour. Pour lui, ce n'est qu'une sorte de sécrétion fictive, la projection d'un de nos états d'âme. Et quelles belles analyses sous son pessimisme ! Elles été l'évangile pour moi. J'y ai souvent repensé depuis le 6 janvier. Proust aurait-il raison... Non, il se trompe, il n'a pas aimé, peut-être parce qu'il était inverti... Anne-Marie existe bien hors de moi, telle que je la vois et l'admire."


"Je ne pourrais ce soir m'essayer à de délicats examens de conscience. Je suis envahi par un lyrisme épais. Je ne crois plus à mes vieilles métaphores; aussi ne dois-je pas écrire mille phrases pompeuses qui se forment malgré moi dans ma tête. Je connais ma grandeur et celle de ma tâche, mais j'en suis écrasé. Je ne suis aujourd'hui que le pauvre enfant accablé qui se découvre un don étrange et n'en est pas heureux. Pourquoi la volonté de créer vient-elle se loger dans d'aussi faibles machines ?"


"J'ai bien cet orgueil, je ne souhaite pas le renier. Mais si tu savais avec quelle immense humilité il cohabite."


"-Je voudrais vous demander... Éprouvez-vous souvent des déceptions ?
-Moi ? Mais ma vie n'est que cela. Je peux dire qu'au premier abord presque tout m'a déçu. Wagner m'apparaissait compact, les tableaux du Louvre crasseux, la mer trop placide. De l'amour physique - si on peut appeler ça de l'amour ! - le seul que je connaisse, j'ai eu plus de regrets que de plaisirs. J'ia toujours tout trouvé au premier coup d'oeil moins grand, moins vaste, moins brillant, moins émouvant, moins solennel que je ne l'attendais. Je ferai vite le compte des beautés qui m'ont convaincu au premier choc. C'est pourquoi le Six Janvier est pour moi une date si extraordinaire."


"Au contraire : ce printemps m'a fait entrer dans la familiarité de nos grands hommes, et dans la conviction que je ne suis point indigne de suivre leurs traces. Mais n'est-ce pas le moment de regarde au-dessus d'eux ?
Michel posait sa plume. Il allait peut-être trop loin. Non. Ssns doute s'arrêterait-il là dans ses confidences, mais sa pensée continuait seule. Il songeait aux binettes qui tournent autour de la "Religion de l'Art" cet ezsatz de la foi perdue ou inconnue, tout au plus bon au réconfort des potaches et des vieux birbes flatulent ; un mot que l'on glisse à la place d'un autre, pour boucher une fissure sentimentale ; un vocable aussi démocratiquement creux que la Fraternité, la Justice et le droit des Peuples. Si l'art est bien le meilleur témoignage de l'homme, son suprême effort pour dégager de sa boue sa substance divine, alors ! quelle misère !"


"Eh bien ! puisqu'il faut donc que je vous l'apprenne, Régis et vous, oui, vous êtes des garçons épatants. Oh ! s'il vous plaît, ne prenez pas l'air modeste, vous m'horripilez. Vous êtes des types magnifiques. Eh ! oui, vous avez de quoi emballer une femme qui n'est pas non plus fabriquée comme les autres. Par exemple, il y a bien des moments où je me demande si vous le méritez.
Michel était parvenu à se commander une physionomie calme et simple. Mais sous les muscles de son visage, il rayonnait."


"Et si je vous disais, continuait-il : Je n'aimerai jamais que des femmes qui ne m'aimeront pas, qui ne pourront pas m'aimer."


"Il est certain que je ne recherche pas toujours au fond de mmoi-même, mais plus souvent dans des opérations mentales, les solutions aux problèmes qui m'accablent. Mais comment atteindre vraiment le fond de soi ? Et que faire, si au fond de soi, les problèmes religieux ne laissent aucune empreinte ?"


"Régis n'oubliait pas la petite morale :
-Pas de regards intempestifs sur les jolies femmes pendant le trajet."


"- Oui, continua Michel avec une rondeur une peu affectée, je viens d'apprendre que notre jeune amie a troqué d'idéaux. Il s'est produit chez elle une révolution considérable.
Anne-Marie voulait demeurer optimiste :
-Bah ! Bah ! ce sont les vacances. Il arrive toujours des choses comme ça pendant les vacances."


"Vous aviez l'air trop heureux tout à l'heure pour ne pas avoir été un peu triste avant.
Michel, avec une volubilité joyeuse et trébuchante, essayait d'expliquer les déboires de sa solitude. Car il n'en doutait plus maintenant : la solitude venait d'être son unique mal. Elle avait été longtemps sa fierté, il n'eût pas consenti à reconnaître qu'elle pouvait être accablante. Mais la fierté abdiquait devant le besoin d'un peu de douceur."


"Il avait essayé de se promener, pour le plaisir, dans le centre de Lyon. Il s'ennuya aussitôt. Dès qu'il quittait les rives de ses fleuves et les quelques coins de pèlerinages, cette ville le navrait ou l'exaspérait. Elle était bien rébarbative, incolore, insipide, vide comme dans ses plus mauvais souvenirs."


"L'illusion de Lyon avait été crevée en même temps que l'illusion catholique."


"Je vais enfin me trouver au centre de ma vraie vie.
Quoi ? Sauver Anne-Marie ? Comme s'il était une puissance humaine qui le pût encore ! Non : se sauver soi-même. Se tirer de ce bourbier d'impostures - les siennes, et celles des autres. Échapper à ce désert de la foi et de l'amour impossibles, où l'on allait être frappé de stérilité."


et j'en manque beaucoup d'autres...

Rubedo
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le 18 janv. 2020

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