Ce n'est absolument pas intentionnel, mais il semble que je sois porté à lire un tome du cycle de Dune chaque année au mois de mai. Comme si mon inconscient me poussait à un délai exact d'un an à chaque fois. Rythme poussif cracheront les fidèles séides de Herbert ! Mais je crois qu'il s'agit du bon laps de temps pour digérer à chaque fois l'ampleur du travail de l'écrivain. Ce sera encore plus vrai avec ces Enfants de Dune qui aurait dû s'appeler Les non-enfants de Dune.


Effectivement, comme une espèce de running-gag (sauf que les livres de Dune ne savent pas ce qu'est le sens de l'humour) les jumeaux de Paul Muad'Dib, le Messie et ancien maitre de l'Univers (excusez du peu), ont déjà atteint une quasi-perfection mentale du fait de leur capacité à se souvenir de la vie de la totalité de leurs ancêtres. Ils possèdent donc une mémoire de plusieurs milliards d'années... mais ont des corps d'enfants de neuf ans. Le paradoxe, intéressant à souligner, est pourtant carrément tourné en dérision (involontairement) par Herbert puisque pratiquement tous les dialogues confrontant les jumeaux aux adultes incorporent ce genre de passage:



  • Jumeau: Ma compréhension du problème dont nous discutons est sans égale. J'espère que tu te rends compte au moins de mon écrasante supériorité.


  • Adulte: Peuh ! Tu parles ! Tu n'es qu'un gosse...


  • Jumeau: Comment oses-tu refaire cette erreur pour la trentième fois ? J'ai vécu plus de choses dans mes mémoires que tu n'en vivras jamais dans ta misérable existence !



Cet exemple est plus drôle que les originaux dans le bouquin, bien sûr (parce que moi, contrairement à Herbert, j'ai de l'humour, hu-hu). La condescendance des enfants est par contre bien de ce niveau-là. Si la perfection de Paul m'insupportait parfois dans le premier Dune, ce n'était rien en comparaison de ce que ces divinités en culottes courtes nous font subir. Leur moments de doutes, s'ils existent, se perdent dans des circonvolutions intellectuelles telles qu'il en devient difficile de comprendre où l'auteur veut en venir. Même chose pour les autres personnages, d'ailleurs. Bien que la plupart soient assez naïfs pour infantiliser des enfants qui se comportent en permanence comme des génies quasi infaillibles, chacun dans son coin tente de représenter une certaine image de la perfection (avec un parapluie dans le cul, sinon, ils auraient l'air trop humains).


Benne gesserit, mentats, Fremens... tout le monde réfléchit pendant des heures avant de débiter la moindre parole - fût-ce un simple bonjour. Des pages de philosophie et de spiritualité s'égrènent... et j'aime ça, moi, normalement, mais y a-t-il encore une histoire à raconter ? Oui, une histoire de complots qui visent les jumeaux Atréides, futurs détenteurs du pouvoir universel. Il faut cependant bien avouer que ce n'est pas du tout cela qui intéresse Herbert. La seule chose que le bonhomme veut, c'est un vague contexte afin de pouvoir placer ses koans et autres sourates personnelles. Une bonne partie d'entre eux est intéressante, voire excellente, ne nous y trompons pas. Herbert est un homme intelligent et, de toute évidence, très bien renseigné au niveau spiritualité (hindouisme, islam, chrétienté...), politique et écologie. Mais tout est balancé à l'emporte-pièce, parfois hors contexte. la somme de ces réflexions ne suit pas de réelle logique, le mélange chaotique semblant être la seule règle de mise.


Au moins, l'univers mis en place, malgré le peu de descriptions, est étonnamment solide, cohérent et profond, lui. A ce niveau-là, lire Dune est toujours un voyage littéraire peu commun, surtout que le passage du temps dans la fiction (environ 25 ans depuis le début de la saga) commence à donner un surplus d'authenticité à cet univers.


Mais l'histoire à proprement parler, les personnages... tout semble se diluer comme l'esprit du prescient dans la transe de l'Epice... malgré quelques actions de grâce qui nous rendent les personnages attachants au moins un bref moment (Duncan Idaho par exemple, heureusement qu'il est là, d'ailleurs). Et puis, la fin du roman arrive et là... Herbert se rend soudain compte qu'il faut bien que des événements incroyables se produisent alors il... ben il raconte des trucs difficilement croyables, dans tous les sens du terme. Soudain, la sobriété de sa narration fait place aux pires extravagances des pulps fictions, et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ne plaira pas à tout le monde. Je ne sais d'ailleurs toujours pas quoi penser du destin de Leto, le fils de Paul. Je penche pour ma part pour une subite impulsion d'improvisation. Un deus-ex machina qui porte bien son nom, hum, hum...


Pris isolément, j'aurais sans doute vraiment détesté ce volume. Mais vu la place qu'il occupe dans le cycle, il remplit au moins en partie sa fonction: poser un regard lucide sur le legs des héros politiques et sur celui des prophètes, et suivre de l'intérieur le parcours d'un homme qui devient un dieu... La justification des Enfants de Dune se cristallisera donc tout particulièrement dans l'impression que me laissera le volume suivant, L'empereur-dieu de Dune...


Ma critique de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_1/critique/4032563


Ma critique du Messie de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Le_Messie_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_2/critique/33859973


Ma critique de L'Empereur-Dieu de Dune : https://www.senscritique.com/livre/L_Empereur_Dieu_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_4/critique/146477404

Amrit
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le 23 mai 2016

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